Le projet de loi « Climat et résilience  » qui ne reprend qu’une infime partie des propositions de la Convention citoyenne pour le climat ne saura à coup sur répondre à celles et ceux qui exigent, comme ils l’ont clamé lors de récentes manifestations, « une vraie loi climat », entendons  par là une loi efficace pour lutter contre le changement climatique et ses effets dévastateurs.

A cet égard les événements récents, tels que les incendies qui ravagent le Népal, frappé par une sécheresse terrible, ne peuvent que donner du poids aux alertes émanant des rapports du GIEC dont le dernier donne dix ans pour agir, rapport qui fait dire à Grégory Doucet, maire de Lyon: « nous, maires écologistes, déclarons que c’est le dernier mandat pour le climat ».

Le dernier mandat? Si l’on ne peut que saluer le volontarisme du propos, on ne peut pas ne pas nous interroger sur l’écart entre la brièveté d’un mandat et l’énormité des questions à résoudre, sur les rapports de force entre l’action publique telle qu’elle existe aujourd’hui et les forces économiques qui continuent d’exploiter la planète, sur l’écart entre la prise de conscience qui se manifeste, notamment chez les jeunes, et la persistance de comportements – production/consommation, mobilité, notamment – qui contribuent au changement climatique.

PRENDRE EN COMPTE LE TEMPS LONG!

Quelques dates:

  • 1971:  Il y a très exactement 50 ans Robert Poujade devient le premier ministre de l’environnement, plus exactement « ministre de la nature et de l’environnement »  (gouvernement de Jacques Chaban-Delmas). Ses principaux objectifs: lutter contre la pollution sonore, mesurer la pollution de l’air, renforcer le pouvoir des agences de l’eau…Bruit (qu’a t’il été fait de sérieux depuis sur cette question?), qualité de l’air, gestion de l’eau: des sujets majeurs étaient, déjà, « mis sur la table »
  • 1974: René Dumont, ingénieur agronome, accepte à la demande d’une poignée d’écologistes, dont Brice Lalonde, d’être candidat à l’élection présidentielle. Une séquence que vous pouvez voir dans les archives de l’INA ou sur Youtube, est restée célèbre: celle où René Dumont lors d’une émission télévisée,  se saisit d’un verre d’eau et déclare:  » Je bois devant vous un verre d’au précieuse puisque avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera« . Il avait vu juste, hélas!
  • 1987: Un nouveau concept – Sustainable development – apparait dans le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’O.N.U., le « rapport Brundtland ». Il est d’ailleurs regrettable que la traduction française – développement durable – ait pris le pas sur le sens littéral de développement soutenable, cette dernière expression étant beaucoup plus explicite et exigeante quant aux objectifs à respecter – ne pas consommer plus que la terre ne peut produire- aux décisions à prendre, aux politiques à conduire. Petite remarque: aujourd’hui le terme développement durable est mis à toutes les sauces, habille le moindre discours, au point d’en être devenu indigeste. et non-signifiant (du danger du langage automatique en politique, mais cela pourra faire l’objet d’un article ultérieur!).
  • 1989: Michel Rocard, Premier ministre, très mobilisé par ce qu’il appelle « la bataille pour l’organisation de la planète », déploie une intense campagne diplomatique et réussit à réunir à La Haye le 11 mars, 80 représentants  de pays du monde entier qui s’accordent sur « la prédominance des causes humaines dans le réchauffement climatique » (voir article complet à ce sujet dans « Convictions », le bulletin de l’association des amis de Michel Rocard, n°29, mars 2021). Notons que Michel Rocard continuera son engagement pour la planète dans son rôle d’ambassadeur des pôles, conscient qu’il était que beaucoup se joue aujourd’hui en ces endroits du globe, et principalement en Arctique dont le sous sol regorge de terres rares, d’uranium…(voir le résultat récent des élections législatives au Groenland, qui ont donné la majorité à un parti de gauche écolo qui s’oppose à exploitation des matières premières).
  • 1992: Rio de Janeiro. Le troisième sommet de la terre donne le coup d’envoi à un ambitieux programme de lutte mondiale contre les changements climatiques et leurs effets. Ce sommet est resté célèbre de par la participation d’une centaine de  chefs d’État et de gouvernement, de 1500 ONG , par la reconnaissance des droits et responsabilités des pays et un nombre très important de recommandations dont hélas seule une infime partie sera mise en œuvre.
  • 2002: Sommet de la terre à Johannesburg. Discours de Jacques Chirac dont une phrase restera célèbre: « Notre maison brule, et nous regardons ailleurs« . Près de 20 années plus tard, la planète brule, effectivement: énormes incendies aux États-Unis, au Brésil, en Suède (oui, en Suède!) en Australie et actuellement au Népal. Et nous regardons, impuissants, ces énormes désastres
  • 2015: Signature le 12 décembre, dans le cadre de la C.O.P. 21,  des fameux « accords de Paris ». L’espoir soulevé ce jour-là est immense…

Et depuis?

Les prises de conscience se développent.  Nous assistons à l’émergence et au développement de très nombreuses associations qui militent non seulement pour la protection de l’environnement mais aussi pour impulser et accompagner des changements de comportements en de nombreux domaines: maitrise de l’énergie, alimentation, consommation (et lutte contre les gaspillages) , déplacements..L’économie de proximité est revalorisée, les circuits-courts font florès..Mais là encore, et cela est une constante historique, les citoyens et les associations sont très largement en avance sur les politiques, les institutions et encore plus sur les grands acteurs économiques.

Mais hélas, quels que soient les aspects positifs de ces changements de comportement, leur effet direct réel dans la lutte pour le climat est infime.

Nous le savons. Des progrès dans la lutte contre le changement climatique et notamment contre les conséquences de l’effet de serre nécessiteront des mutations profondes qui relèvent de décisions fortes, globales, politiques et institutionnelles, y compris au niveau européen et si possible international, et devront impliquer les grands acteurs sociaux et économiques.

Pour nous en tenir à notre seul pays (ce qui a ses limites, convenons en!), nous avons pour le moins quatre défis à relever:

. Celui de l’énergie: s’il nous faut à terme « sortir du nucléaire » cela ne pourra se faire ni en claquant des doigts, ni par des décisions précipitées et d’abord idéologiques qui risqueraient de sacrifier  les fortes maitrises technologiques acquises au sein de ce secteur et transférables à d’autres usages.   Et pour ce qui concerne « les énergies renouvelables » il y a encore beaucoup  à investir en matière de recherche, de mise au point de processus fiables et efficaces. Enfin le champ de la recherche tout comme celui du changement des pratiques pour maitriser les consommations d’énergie et pourquoi pas, les diminuer, n’en n’est qu’à ses débuts.

. Celui de l’alimentation. René Dumont avait une obsession: celle de l’autonomie alimentaire. Aujourd’hui nous avons non seulement à reconquérir et garantir notre autonomie alimentaire, mais aussi à impulser et accompagner la transformation de notre agriculture et des industries agro-alimentaires pour produire des aliments sains, de qualité  et accessibles à tous. Un tel « chantier », qui signifie la reconversion de nombre d’exploitations,   l’apprentissage et la maitrise de nouvelles  pratiques culturales et industrielles,  une refonte des marchés, et probablement aussi une refonte de la politique agricole commune, nécessitera du temps.

. Celui de l’habitat. Au rythme actuel il faudra des dizaines et des dizaines d’années pour que le parc immobilier soit mis aux normes de basse consommation. Par ailleurs, les techniques actuellement utilisées pour isoler des bâtiments anciens laissent rêveur. Ainsi que le relèvent de nombreux spécialistes, ces techniques utilisent des matériaux pour le moins peu écologiques (polystyrène, etc.), diminuent de fait la « respiration » des bâtiments, alors que désormais il faut aérer souvent les pièces. Là aussi la recherche doit s’emparer de ce domaine: conception de matériaux, conception des bâtiments et des logements et surtout conception des plans d’urbanisme qui doivent intégrer tous les éléments susceptibles de diminuer les températures, en particulier en période de canicule.

. Celui des mobilités. Étalement de l’habitat, éloignement lieu de vie/de travail/d’éducation/de soins..baisse en euros constant sur longue période du coût de l’essence et du gazole, changement des modes de vie, tout concourt à un accroissement des mobilités individuelles, alors même que celles ci sont source de pollution (air, bruit) d’accidents, de temps perdu, d’atteinte à la santé..et de dépenses publiques majeures (voiries, parking). Les réponses à apporter ne sont pas simples. Le développement des alternatives à la voiture individuelle est essentiel (transports en commun, co-voiturage, vélo,..) mais la voiture comme mode de déplacement demeurera indispensable  pour de nombreux citoyens et pour d’autres, utile de temps à autre. Là encore un énorme travail de recherche est à développer pour inventer des véhicules les moins « polluants » possible. Beaucoup s’accordent  à penser que le véhicule électrique est une fausse bonne solution. Alors? Et si l’on s’attaquait d’abord aux causes de mobilité? Et si nous cherchions à inventer de nouvelles offres pour modifier les usages, telles que des coopératives de location de voiture?

Pour relever ces 4 défis, nous avons du pain sur la planche. Nous avons à mobiliser nos savoirs, à développer la recherche en de nombreux domaines, aussi et tout autant à ouvrir des débats sur ces questions avec les citoyens, les associations, les chercheurs, mais aussi les formations syndicales et politiques. y compris pour trancher des questions difficiles.

Cela prendra du temps. Certes il faut agir sans attendre, mais plutôt que semer l’angoisse avec une formule telle que « c’est le dernier mandat pour le climat », nous devons semer l’espoir en offrant des perspectives:

Perspectives pour le travail de recherche, pourvoyeur d’emplois utiles et intéressants, par un investissement public majeur en ce domaine

Perspectives pour les citoyens, associations et entreprises d’ores et déjà  engagées dans un processus de transition énergétique, par une politique de soutien sociale, juridique, financière adaptée aux besoins

Perspectives démocratiques et politiques enfin, en construisant et mettant au débat un projet politique de transformation  sociale, économique,  et écologique . Sociale, car en l’absence de réponses concrètes aux questions d’aujourd’hui (travail, précarité, logement..), l’écologie sera « une affaire de riches ». Économique, car sans processus de profonde transformation de nos modes de production, commercialisation, consommation, l’écologie sera réservée aux rêveurs. Écologique, car en son absence nous allons effectivement à la catastrophe!

Sur ces différents points et en tout premier lieu sur la priorité à donner aux questions  sociales, y compris pour réussir la transition écologique, je reviendrai dans de prochains articles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Le dernier mandat pour le climat »! En êtes vous certains?

3 avis sur « « Le dernier mandat pour le climat »! En êtes vous certains? »

  • 10 avril 2021 à 18h33
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    A travers les sujets traités par Paul Raveaud dans ses différentes chroniques et au-delà des critiques et des propositions qu’il formule, c’est la question du temps en politique qui est posée en filigrane. Qu’il s’agisse du Plan, de l’avenir des jeunes ou de l’écologie. Or cette époque fait entrer en collision d’une part l’immédiateté, la réaction émotionnelle, la surmédiatisation annihilant toute hiérarchie de l’information, et d’autre part l’action politique qui nécessite du temps dans son application et de la réflexion pour tracer des perspectives à long terme. La faiblesse des responsables politiques réside dans leur incapacité à desserrer cet étau, à prendre de la hauteur, à résister aux sollicitations médiatiques qui les usent et discréditent leur parole. Elle se niche aussi dans leur propension maladroite et démagogique à vouloir coller à tout prix et sur le champ, à l’opinion publique « cette masse poisseuse et poilue » comme la qualifiait Jules Renard. Un fait divers sanglant indigne le pays ? On fait une énième loi sécuritaire. Les Gilets jaunes saccagent les beaux quartiers en vomissant les « élites » qu’ils accusent de « mépriser le peuple » ? On lâche de l’argent sous la pression, et on réforme l’ENA ! Aucune de ces « solutions » ne règle les problèmes sur le fond et sur la durée. Alors pour donner un peu de temps au temps, faudrait-il aussi peut-être commencer par revenir plus prosaïquement à des institutions plus pertinentes. A commencer par rétablir le septennat. Car un quinquennat est bien trop court pour mettre en place des réformes susceptibles de porter leur fruit durant le mandat. Pour deux raisons, d’abord parce que dans les faits le quinquennat est réduit à trois ans et demi puisqu’au bout de ce laps de temps commence la campagne pour la présidentielle suivante qui gèle toute nouvelle réforme. Ensuite parce que si l’on a écourté la durée du mandat présidentiel, paradoxalement on n’a pas écourté celle de la procédure parlementaire avec ses navettes interminables qui provoquent un engorgement législatif. Sans oublier le temps absorbé par la longueur des débats sur le budget et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale beaucoup trop chronophages à l’automne. Résultat : entre un projet de loi examiné en Conseil des ministres et la promulgation de ladite loi, il peut s’écouler dix mois, voire plus dans certains cas. Dans ces conditions, l’étendue des réformes ne peut être que modeste et manque forcément de lisibilité pour les Français. Durée trop courte d’un côté, durée trop long de l’autre. D’où la nécessité de maîtriser le temps en politique pour plus d’efficacité.
    Jean-Pierre Bédéï
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    • 10 avril 2021 à 20h27
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      Merci Jean-Pierre pour ta contribution, qui est largement plus qu’un commentaire!Je partage largement ton constat. A l’évidence il nous faut effectivement nous atteler à une réforme à la fois des institutions (Septennat? Réforme du Parlement? Régime parlementaire ou régime présidentiel?) et des pratiques, notamment celles de la production des lois et décrets, de leur suivi..Certes la suppression de l’ENA ne résoudra rien d’autant plus que les hauts fonctionnaires issus de Polytechnique, des Mines et autres continueront dans un entre-soi bien connu, de « truster » les postes stratégiques au sein de l’État , des entreprises publiques, et ce d’autant plus qu’ils jouent un rôle majeur compte tenu de la »démission » de fait des Politiques. De mon point de vue nous « payons » aujourd’hui les conséquences d’une évolution qui a vu depuis le milieu des années 80 une technicisation croissante des « politiques publiques », une multiplication des normes, le tout aggravé par une exigence de résultats « immédiats » , et corrélativement un retrait progressif du politique, le « macronisme » étant l’avatar ultime de cette évolution. J’aurai l’occasion de revenir sur la technicisation des politiques publiques, insuffisamment analysée, alors que…
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  • 5 juin 2021 à 11h18
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    Vos échanges sont très intéressants mais je pense que nous n’avons plus le temps,
    il faut agir vite et tout de suite pour espérer des effets a long terme.
    La crise du Covid nous a démontrer cela en 6 mois,moins d’avions,moins de déplacements,besoin de plus d’air propre,visibilité flagrante de la pauvreté, enfin
    revoir nos villes.
    Il faut agir pour bloquer la spéculation des plus aisés interdir les SUV,sauver les
    petits artisans et les artistes,garder nos cafés,planter beaucoup d’arbres,libérer
    les initiatives des jeunes et tout ira peut être un peu mieux……
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