Récemment et à plusieurs reprises, Arnaud Montebourg candidat à la prochaine élection présidentielle, a proposé de « mettre en place un service national, civil ou militaire, universel, pour au moins 6 mois, et égalitaire pour les hommes et les femmes » (émission « On n’est pas couché », Interview dans le JDD, discours à Clamecy et à Frangy, entre autres).
Étrangement cette proposition pour le moins iconoclaste n’a suscité quasiment aucune réaction. Pour ma part j’ai été très étonné: lorsque Arnaud Montebourg a fait cette proposition pendant l’émission animée par Laurent Ruquier et Léa Salamé, ni l’un ni l’autre n’ont réagi, plus préoccupés manifestement par la recherche de la petite phrase qui fera mouche que par les échanges sur le fond (nous touchons là un autre problème, celui de la déliquescence des émissions animées par des commentateurs et commentatrices touche à tout, qui survolent les problèmes, ne travaillent manifestement pas leurs dossiers, et recherchent pour prendre une expression qui leur va bien, à « faire le buzz »).
Proposition rétrograde, voire réactionnaire? Ou tout au contraire, en phase avec ce que demande l’évolution de notre société? Ainsi que je le notais dans mon article précédent, il s’est instauré dans notre société une concurrence du tous contre tous, avec pour corollaire le développement du « chacun pour soi », et de nombreuses formes de ségrégations: à l’école, à l’embauche, pour l’accès au logement, et même aux loisirs.
Cette évolution conduit à une méconnaissance des autres, de l’autre, et lorsqu’il est différent, au développement de formes de peurs, de rejets, de racisme, de pratiques d’exclusion, peurs et rejets dont se nourrissent les populismes, ainsi que celles et ceux qui les alimentent.
Un nouveau service national, entendu comme un service que chacune et chacun apporterait à la nation pendant une durée déterminée, si tant est qu’il puisse être mis en œuvre, serait-il à même de participer à casser des solitudes, à faire se rencontrer, se découvrir, se connaitre, se comprendre, des jeunes d’origine, de lieu de vie, de parcours, de statuts différents? De produire des relations nouvelles entre ces jeunes et la société?
Quelques remarques: de très nombreux jeunes, filles et garçons, vivent de fait dans des « ghettos » au sens où leur espace de vie quotidien, à de rares exceptions, est restreint à leur cité, leur quartier, leurs « sorties » étant au mieux la fréquentation du centre commercial ou de l’hyper centre ville voisin, où l’espace de quelques heures ils viennent rêver en ces lieux qui n’ont de cesse d’alimenter sans cesse ce couple terrible de tentation/frustration sur lequel repose notre société de consommation.
Quant aux jeunes qui de par le hasard de leur naissance vivent en des milieux plus aisés, plus « ouverts », qui pour nombre d’entre eux voyagent, pratiquent des loisirs et des sports au coût financier parfois élevé (ski, équitation, etc.), que connaissent-ils des jeunes issus d’autres milieux? Eux qui ont souvent la possibilité de partir en week-end, dont les parents ou la famille possèdent une résidence dite « secondaire », que connaissent ils de la vie des jeunes dont l’horizon lors des week-end ou des vacances est strictement le même que celui des autres jours de la semaine ou de l’année?
Point d’accablement envers quiconque ou de jugement en ces propos, mais un constat: notre société a failli. Elle a failli dans l’intégration de toute une jeunesse issue de l’immigration. Elle a failli dans sa prétendue politique « d’égalité des chances ». Obnubilée par le mythe de la réussite individuelle, elle a oublié qu’une société apte à favoriser l’émergence des réussites personnelles, apte à favoriser le développement des talents, est d’abord une société « égalitaire », une société où chacun , dès la naissance, et quel que soit le patrimoine matériel et culturel de sa famille, a un réel accès aux biens collectifs. A cet égard les pays du nord de l’Europe, l’Islande, la Suède et d’autres sont riches d’enseignement.
Et si un nouveau « Service national », bien pensé, peut être à même de contribuer à combler des fossés d’ignorance, d’incompréhension – et personnellement ce projet me parait devoir être sérieusement étudié – ne faut-il pas, pour contribuer à refaire société, repenser notre politique de la « petite enfance » et notre politique scolaire?
Politique de la petite enfance, avec un réseau dense de crèches publiques, ou gérées par délégation du public, réseau qui permettrait effectivement à chaque enfant de pouvoir être accueilli. Nous savons tous ce qu’apporte une crèche pour l’éveil des petits, mais aussi pour l’accompagnement des jeunes parents qui trouvent là des conseils en matière d’éducation, de santé, d’alimentation, mais aussi des soutiens qui ne peuvent qu’être que bénéfiques notamment pour les familles mono-parentales. Ces crèches devront être installées dans des espaces vastes, attractifs, lumineux, posséder des escapes de plein air.
Crèches mais aussi espaces de jeux, petits parcs, piscines, permettant par exemple la pratique dite des « bébés nageurs », espaces ou les parents pourront emprunter des jeux, des livres etc. Autant d’investissements qui contribueront de fait à produire de « l’Égalité », cette valeur inscrite dans notre devise républicaine mais si peu mise en œuvre!
Politique scolaire! En écrivant cet article il me revient à l’esprit le beau projet de « Grand service public laïc et unifié de l’éducation », inscrit dans les 110 propositions du candidat François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981, et porté par Alain Savary, dès qu’il fut nommé ministre de l’Éducation Nationale. L’objectif de ce projet était de rapprocher les établissements publics et privés d’enseignement. « La première version du projet est annoncée en . Son idée importante est la constitution d’« établissements d’intérêt public » qui associeraient les écoles publiques, les écoles privées et les collectivités territoriales. Ce système permettait de préserver l’autonomie des différents acteurs, notamment avec la reconnaissance pour toutes les écoles d’un « projet d’établissement »(source: wikipedia). On imagine combien la « carte scolaire », mais aussi les pratiques des uns et des autres, enseignants, parents, élus, auraient été modifiées si ce beau projet avait vu le jour. On imagine aussi l’impact pour les établissements et leurs élèves qui, fréquentant un établissement public ou privé, se seraient trouvés non en situation de concurrence, mais de coopération, voire de complémentarité.
Hélas, sous les coups portés tant par les catholiques conservateurs que par les « laïcards » de gauche, ce projet qui par ailleurs semble bien n’avoir jamais été prioritaire pour Mitterrand, sera abandonné en 1984. Désavoué, Alain Savary démissionnera. Là où Aristide Briand avait réussi à trouver, dans un contexte oh combien difficile, de remarquables compromis pour faire adopter la belle loi sur la séparation des Eglises et de l’État ( loi du 9 décembre 1905), la gauche au pouvoir en 1984 a capitulé.
S’ensuivra un développement de l’enseignement privé « boosté » par ce qui pour lui a été une victoire, et par l’effet désastreux des politiques successives de restriction des finances publiques qui, cumulées avec l’absence de réforme de fond de l’école et notamment de l’école primaire, détourneront progressivement de plus en plus de familles de l’enseignement public.
Si l’école est essentielle dans le processus de socialisation des enfants, et par ricochet, dans l’enrichissement des parents par les rencontres et échanges entre familles différentes qu’elle permet, si elle constitue le premier pilier pour faire société, il est d’autres institutions, d’autres lieux où se construisent des rapports sociaux. Nous poursuivrons cette réflexion sur ce qui peut nous permettre de refaire société dans un prochain article.
Mais dès maintenant n’hésitez pas à réagir, contredire, argumenter, proposer. C’est aussi à travers le débat que nous faisons société!
Jean-Pierre Bédéï