Il y a peu, j’ai rendu visite à un ancien médecin du quartier de « derrière les voutes » (quartier situé au sud de la gare de Perrache) que nous avions connu lorsqu’il soignait nos enfants. Gérard, tel est son prénom, était associé à un autre médecin. Il était aisé d’avoir un rendez-vous- y compris parfois à une heure tardive et – ce qui aujourd’hui passerait pour un luxe – il assurait une permanence un samedi sur deux, en alternance avec son collègue et se déplaçait si besoin au chevet de ses patients. Ambiance Covid aidant, notre discussion aborde les questions de santé et plus particulièrement celle des pratiques de ses confrères. D’une voix lasse, Gérard me fait part de son désappointement et de sa grande incompréhension devant l’évolution des pratiques des médecins libéraux: « Comment, dit-il, peut-on refuser un nouveau patient? Un médecin n’a pas le droit de faire cela! » En l’écoutant je pense à ce couple d’amis venus s’installer dans notre quartier et qui éprouve une grande difficulté à trouver un médecin. « Comment, poursuit-il, peut-on justifier que des cabinets soient fermés à 17h, et qu’il soit  impossible d’avoir une consultation en soirée ou un samedi? « . Gérard aurait pu également se désoler du fait que ses collègues aujourd’hui ne se déplacent plus au chevet de leurs patients.

Cette discussion me rappelle un échange que j’avais eu au printemps 2021 avec madame Guillin, épouse du docteur François-Yves Guillin connu dans les milieux de la Résistance pour avoir été le secrétaire personnel du Général Delestraint, chef de l’Armée secrète. (François-Yves Guillin est décédé le 18 octobre 2020 et son épouse le 31 août 2021). Évoquant les activités professionnelles de son mari – un rhumatologue reconnu – elle me décrit les difficultés qu’elle avait à obtenir de son mari qu’il refuse ses patients, qui, pris de douleurs,  venaient sonner chez eux le samedi soir, voire le dimanche matin. » Voyez vous, nous n’avions pas de vie à nous, car mon mari ne refusait jamais de recevoir un patient« .

Mais me direz- vous cette période est révolue! Les médecins ont le droit d’avoir une vie « normale » (euh…c’est quoi une vie normale?), de partir en week-end, d’avoir du temps en soirée pour leurs enfants. Sur ce dernier point, remarquons que l’inégale répartition des tâches dites domestiques, qui perdure fortement en notre pays, explique pour partie la moindre disponibilité des médecins libéraux, la profession s’étant fortement féminisée. Une remarque me  vient toutefois à l’esprit: le corps des magistrats est également fortement féminisé et pourtant de nombreuses magistrates travaillent en soirée, parfois très tard, ce qui peut aussi être le cas de femmes médecins qui travaillent en hôpital.

Mais revenons à la question des pratiques des cabinets de médecins libéraux, qui exercent ce qu’il est convenu  d’appeler la médecine de vile, terme évocateur du choix d’installation de nombreux médecins libéraux qui vont décider de  leur lieu d’installation non pas en fonction des besoins sanitaires réels mais d’abord du cadre de vie auquel ils aspirent.

Depuis 2002 (voir  à ce propos un article du journal « Le Monde » en date du 13 aout 2022 sur la crise de l’hôpital et ses causes) ils n’ont plus d’obligation de gardes, celles-ci relevant du simple volontariat. Parallèlement de nombreux dispensaires ont disparu et les maisons médicales de garde  sont peu nombreuses et parfois fort éloignées des lieux de résidence des patients.

Cette situation en particulier lors des week-ends et des périodes de congés, où nombre de cabinets sont fermés, est anxiogène pour de nombreux patients, pour les jeunes parents confrontés à une maladie de leur enfant et dans l’incapacité de joindre leur médecin ou pédiatre habituel, pour les personnes souffrant d’un handicap, âgées, seules. De plus elle conduit nombre de personnes à se rendre « aux urgences » ce qui contribue à l’engorgement de ces dernières.

Tout comme certains métiers de la Fonction Publique (je m’en expliquerai dans un prochain billet) le métier de médecin, fût il libéral, n’est pas un métier comme les autres. Il participe à ce que j’appellerai une « fonction collective », c’est- à dire à la prise en charge par un ensemble d’acteurs et d’institutions, d’un domaine majeur qui s’appelle « La Santé ». Il engage de ce fait à prendre sa part pour que cette « fonction collective » soit le plus efficiente possible.

Pour que cette « fonction collective » demeure, voire redevienne efficiente, il est nécessaire aujourd’hui de se mettre autour d’une table pour aborder des questions trop souvent éludées parce que porteuses de remises en cause et d’exigences. Ces questions sont celles:

  • du libre choix d’installation du médecin: en quoi est-il justifié? Les études de médecine, en France (il faut compter environ 20 000 €  par étudiant et par an) sont essentiellement prises en charge par l’État et les collectivités territoriales. Il ne serait pas illogique qu’en retour, l’État  et les collectivités territoriales aient leur mot à dire sur l’implantation des cabinets médicaux compte tenu des besoins réels des populations et des territoires. Les enseignants, les magistrats, entre autres,  ne choisissent pas leur première affectation. Mais me direz vous les médecins ne sont pas fonctionnaires. Exact, mais, voir ci-dessus,  ils participent à une « fonction collective » et par ailleurs sont de fait rémunérés sur fonds publics.
  • de l’accessibilité aux consultations: s’il ne saurait être question de revenir à des pratiques qui relèvent d’abord du dévouement, on ne saurait plus longtemps éluder la question des horaires de consultation et des gardes, en particulier les week-end et pendant les périodes de congés. A l’instar de ce qui existe pour les pharmacies, des « tours » de garde pourraient être institués, moyennant des contre-parties à négocier (coût de la consultation?). Aisées à instituer en ville, ces gardes pourraient avoir lieu soit au cabinet des médecins soit dans des maisons médicales de garde en nombre suffisant, le nombre de médecins, conséquent, permettant un nombre de jours de garde par médecin relativement faible.
  • des modalités d’exercice de la médecine dite « de ville ». Il convient en réalité d’encourager fortement le développement de cabinets de groupe, autant que possible pluri-disciplinaires, permettant une garantie d’accueil des patients (y compris en cas d’absence du médecin traitant habituel) et ce sur des plages horaires suffisantes. De plus ce type d’organisation permet à des médecins qui le souhaitent de travailler à temps partiel sans nuire à la qualité d’accueil des patients. Par ailleurs  la création de cabinets de groupe,  mieux encore de maisons de santé pluridisciplinaires constitue probablement une réponse adaptée pour les territoires actuellement délaissés par les médecins libéraux.

D’autres questions sont probablement à débattre. Celles de l’accueil (ras le bol des plate-forme téléphoniques et de l’ impossibilité de joindre directement un  médecin), des rapports entre généralistes et spécialistes, du lien généraliste/spécialiste/hôpital, etc.

Comme celles énumérées  ci-dessus elles émergent aujourd’hui peu à peu dans le débat public. Elles  conduiront à des proposition novatrices et positives dès lors que l’exercice des métiers de la santé et en tout premier l’exercice du métier de médecin, qui exigent une haute conscience professionnelle,  seront avant tout animés par une forte et exigeante conscience sociale.

 

 

CS;

 

 

 

 

 

 

Vous avez dit « Conscience sociale »?

9 avis sur « Vous avez dit « Conscience sociale »? »

  • 19 août 2022 à 21h18
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    Salut mon cher Paul ! Oui, toutes ces défaillances que tu énumères sont effectivement là et tout le monde en fait les frais; enfin ,presque. J’ai toujours le même médecin traitant depuis au moins trente ans mais, un exemple, est notre ami commun Jean Claude Baumont qui a eu beaucoup de mal à retrouver un médecin traitant à l’aube de ses 90 ans par ce que son médecin de famille était parti à la retraite .Demain, je vais le chercher pour passer la journée .Pour moi, l’explication viendrai du fait d’un déficit de formation quantitative(Numérus Clausus) mais aussi du fait que dans nombre de quartiers ,même les gens du secours médical ont du mal à pratiquer; alors ,avoir un cabinet ouvert dans ses lieux ,lèverait du miracle. C’est malheureux mais, il faudrait qu’aussi, ces difficultés soient prises en compte . d’abord rendre accessible ,l’intégralité des zones d’habitation et aussi ,faire respecter à tous tes, les règles de la République qui voudraient qu’un soin médical doit être obligatoirement exercé par tout Médecin sans distinction de sexe. Ton article est formidable mais, c’est le niveau auquel ,ma réflexion du moment ,me permettait de réagir.
    Passe un bon Week-end?
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    • 20 août 2022 à 17h15
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      Cher Jacques merci pour ta contribution. Effectivement il revient à l’État et aux collectivités d’assurer, de garantir l’exercice de cabinets médicaux en tout lieu et en particulier dans les quartiers »difficiles ». Ta remarque sur le respect du aux femmes médecins est très juste. Elle rejoint ce combat contre le machisme et les pratiques de soumission trop souvent imposées aux jeunes filles et aux femmes. Loin de certains délires sur les politiques « genrées », cette lute pour la dignité, pour l’égalité est effectivement très liée aux luttes pour l’accès de tous et de toutes aux politiques de santé. Bon week-end à toi également. Paul
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  • 20 août 2022 à 10h18
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    Très juste , sans doute une évolution des mentalités liée a une bonne rémunération . Il est courant aujourd’hui de voir les médecins libéraux ne pas exercer sur toute la semaine et sans cesse remplacé . C’est leur choix , c’est certain , mais nous sommes bien loin du service rendu à la société en retour d’une formation , certe difficile , mais mais largement « sponsorisé » par la collectivité . Peu de personne savent que la sécurité sociale rémunère en plus des honoraires du patient , le médecin. Donc il s’agit bien d’un forme de fonction publique que l’on ne saurait voir !
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    • 20 août 2022 à 17h07
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      Il y a effectivement un « effet » mode de vie à prendre en compte. Mais cela ne peut exonérer les praticiens libéraux d’accepter un ensemble d’exigences au service de leurs concitoyens, sauf à accepter le développement d’une « médecine de ville » à plusieurs vitesses. Une solution ne serait-elle pas de valoriser et développer le statut de médecin salarié?. Exerçant dans le cadre d’une maison de santé ou autre organisation qui assure la continuité de l’accueil, des soins, le médecin salarié pourrait ainsi choisir son temps de travail sans pénaliser les patients. Remarquons que de plus en plus de jeunes médecins choisissent le salariat. Un signe encourageant?
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  • 20 août 2022 à 13h27
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    Je suis d’accord avec toute cette analyse, arrivant dans une nouvelle région, quelle galère !!!! pour trouver tous les médecins et spécialistes dont j’ai besoin.
    Effectivement.je tombe ( de haut!!!!) quand on me demande de laisser mes coordonnées afin de me rappeler et qu’à ce jour, j’attends toujours ce rappel !!!!!
    Aussi, je mets tout en œuvre pour trouver un médecin ou spécialiste qui voudra bien me répondre, et je passe en revue tous les numéros que je trouve et j’appelle…..j’ai eu de la chance car j’ai trouvé un kiné qui m’a répondu…cela relève presque du miracle….quant aux autres, c’est doctolib….pour découvrir qu’ils ne prennent plus de patients ou que le RVest si lointain que vous allez être obligé d’aller voir votre médecin qui va vous prescrire un traitement dans l’attente de ce RV, traitement palliatif qui ne va pas apporter de réponses à vos ennuis de santé !!!
    Qu’à cela ne tienne, la sécu rembourse!!!
    Quant aux soins hospitaliers, nous nous dirigeons fortement vers le système américain suite aux directives des ARS, des sachants, de la T2A, de la mise en place des pôles qui mettent une barrière supplémentaires aux relations entre service…ETC.
    Je déteste ce que ce monde nous offre et j’ai peur de l’avenir pour nos enfants.
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    • 20 août 2022 à 16h59
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      Hélas, Marie, nombreuses sont les personnes dans ta situation. Nous ne pouvons plus accepter de laisser aller notre système de santé à la dérive. Il s’agit d’un sujet majeur qui concerne tout un chacun, y compris à des moments cruciaux de la vie. On ne s’en sortira pas par des recettes simplistes ou par de simples artifices budgétaires. Il nous faut trouver le moyen de mettre autour de la table des citoyens et citoyennes comme toi, des praticiens,etc. pour créer un vrai débat solide, argumenté et démocratique. Est ce possible de le faire au niveau local, régional? Qu’en penses tu? Qu’en pensent les lecteurs de ce blog? Bien amicalement, Paul
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  • 22 août 2022 à 14h30
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    Bonjour Paul,

    Outre les problèmes que tu évoques, j’ajouterais que (cela vient d’une discussion que j’avais eu avec un médecin décédé l’an dernier – encore un – et très engagé dans la vie citoyenne) :
    – le changement de pratique des médecins à Lyon, rebutés par l’exigence de disponibilité et souhaitant limiter leur responsabilité individuelle médicale, qui privilégient une embauche comme salarié dans un cabinet médical (les plages horaires peuvent être étendus mais leur disponibilité vis-à-vis de leurs patients se limitent à une consultation basique et renvoient vers les urgences ou vers une analyse de sang dès que le diagnostic doit les engager).
    – l’argument selon lequel la médecine libérale nécessite un droit de regard de la part des collectivités territoriales et de l’État est d’autant plus fondé que l’activité des médecins est possible en France parce que la prise en charge par l’Assurance Maladie est élevée et l’usage des médicaments est réglementé. Il n’y a pas de système de santé sans « publicisation » forte en France. Le poids du Conseil de l’ordre des médecins est sans doute trop forts et freine par corporatisme des arbitrages plus favorables aux patients.
    Pour résumer, la médecine libérale en ville tend à se « salariser » tout en étant dans une logique de limitation de clientèle comme tu l’évoques et elle « oublie » la part qu’elle doit à son fonctionnement assurantiel et public instaurée Après-guerre.

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    • 22 août 2022 à 14h38
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      Merci Nicolas pour ta contribution. Penses tu qu’il serait possible de conduire un travail d’analyse/propositions pour à la fois préciser nos connaissances (au sens de savoirs) et contribuer à enrichir le débat public? Et si oui, avec qui? A bientôt le plaisir de se revoir! Bien amicalement. Paul
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      • 2 septembre 2022 à 11h20
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        Les services publics de la santé et de l’éducation sont au centre des débats en cette période de rentrée mais aussi depuis que la crise sanitaire a mis en évidence de grosses carences qui ne se résoudront pas seulement à coup de milliards et d’annonces mais par des orientations maintenues dans la durée. Le courant libéral a mis les services publics de santé dans un mode de gestion fondé sur la tarification à l’acte dans les hôpitaux publics et a réduit les effectifs régulièrement.
        Pour un débat solide sur le sujet, nous aurons besoin de donner la parole à des personnalités engagées et impliquées grâce à leur pratique professionnelle. J’ai peu de connaissance dans ce domaine mais suis ouvert à évoquer le sujet avec toi et peut-être « ranimer » la Manufacture de la Cité qui semble en état de mort cérébrale depuis plusieurs mois…
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