En ce jour de rentrée scolaire, et comme à l’accoutumée, les « marronniers » sont nombreux à faire les titres de la presse quotidienne et à offrir aux chaines de télévision des reportages bon marché, avec les images d’enfants heureux de retrouver leurs copains ou de petits qui ont une larme à l’œil, à moins  que ce ce ne soit leur papa ou leur maman, au moment de franchir la porte de l’école maternelle. Mais, et plus encore que les années précédentes ces « marronniers » laissent vite la place aux interrogations, questions, angoisses qui désormais surgissent dès lors que le sujet de l’École, de l’éducation, est abordé.

L’École au sens large, évocatrice du parcours qui de la maternelle à l’enseignement supérieur a pour mission première de donner le goût d’apprendre, de découvrir, pour contribuer à former des citoyens cultivés, c’est-à dire capables de se prendre en charge, de savoir  former leur propre jugement, de comprendre leur environnement et au delà le monde dans lequel ils vivent. Une École source d’enrichissement, éducatrice de responsabilité et donc source de liberté. Une École qui n’est pas celle de la soit-disante « égalité des chances », formule cache-sexe qui consacre l’acceptation de la concurrence entre individus (et dont nous savons  à l’avance quels seront les gagnants – relire Bourdieu!), mais et en tout premier lieu d’ apprentissage de nos valeurs: ce n’est pas un hasard si notre  si belle devise, « Liberté-Égalité-Fraternité » est au fronton de nos écoles primaires.

Cette École publique, laïque, gratuite et obligatoire, magnifiée sous la troisième République, et plus largement notre Éducation Nationale sont-ils  encore en capacité de remplir leurs missions?

Sans être spécialiste des questions d’éducation il est aisé de se rendre compte que le bateau « Éducation nationale » prend l’eau de toutes parts. De jeunes et talentueux étudiants, qui feraient d’excellents professeurs, hésitent à monter à bord, peu rassurés par le cap (ou l’absence de cap ) du navire. Des parents, inquiets quant à la qualité de l’accueil, de l’enseignement et  de la vie scolaire au sein des collèges et lycées publics, et de l’attention portée à leurs rejetons, préfèrent « se saigner » pour faire le choix du privé et ainsi de plus en plus, des « passagers potentiels » de l’Éducation nationale rejoignent les rives de l’enseignement privé, y compris pour l’école primaire (le secteur « privé » accueille environ 27% des collégiens et lycéens et près de 15% des élèves du primaire).

Mais revenons aux difficultés de recrutement. De quoi sont elles révélatrices?

La première raison avancée est celle de l’insuffisance des salaires. De fait les professeurs sont largement sous payés dans notre pays: début de carrière à environ 1400 € nets/mois (pour une formation de bac+5) et lente progression salariale. Cette faible rémunération en dit long sur le mépris des gouvernants et hauts fonctionnaire de Bercy pour un métier qui devrait être au cœur des préoccupations publiques, tant il a d’importance sociale et sociétale. Cette faible rémunération est d’autant plus rébarbative qu’aujourd’hui les dépenses obligatoires pour un jeune professeur qui débute dans la vie active sont nettement plus élevées qu’il y a 10 ou 20 ans, alors même que ces dix dernières années le pouvoir d’achat des professeurs a baissé (environ 10%). C’est en particulier le cas des dépenses liées au logement, dont le coût a énormément augmenté ces dernières années (je suis toujours surpris comment cette question du logement et du mal logement de personnes de plus en plus nombreuses n’est pas réellement prise au sérieux hormis quelques tentatives – Paris, Lyon, entre autres – d’encadrement des loyers).

Mais cette insuffisance des rémunérations, bien  réelle, ne semble pas être la seule raison des difficultés de recrutement, ou plus exactement, du rejet du métier de professeur dans ses conditions actuelles d’exercice. Ainsi que le note un article du quotidien « Le Monde » (numéro du 29/08/2022), relatif à la pénurie des enseignants: « la crise du recrutement des professeurs est un problème dans presque toute l’Europe, et même au-delà. Les 4 000 enseignants français qui manquent à l’appel à l’issue des concours du printemps 2022 semblent un moindre mal par rapport aux situations, souvent préoccupantes, des pays voisins. En Allemagne, 4 400 postes étaient vacants en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé du pays, à la reprise des cours, le 10 août.

En Italie, 150 000 postes sont désormais occupés par des remplaçants au statut précaire. Tandis que l’agence suédoise de l’éducation, Skolverket, prévoit qu’il faudra former 153 000 enseignants d’ici à 2035, pour compenser les départs à la retraite et les changements de carrière de ceux que la profession n’intéresse plus. Les Anglais, eux, savent que la crise couve depuis longtemps, mais elle n’en est pas moins violente : 72 % des directeurs d’&établissement font appel à des remplaçants pour couvrir des postes censés être permanents. 

Pourquoi ce rejet du métier de professeur? Faute d’un étude sérieuse (pas un sondage, mais une vraie étude sociologique, avec interviews des intéressés, enquête au sein des institutions d’enseignement, des servies de gestion etc.) nous nous contenterons de proposer quelques pistes à explorer:

l’exigence de maitrise de son lieu de vie: beaucoup plus que dans les décennies précédentes, le choix du lieu de vie, de la qualité de ce lieu de vie est prioritaire dans les parcours professionnels, et ce pour la plupart des métiers. L’importance de ce choix est tel  que des jeunes attirés par l’enseignement préféreront le statut de contractuel au statut de titulaire, qui, s’il offre une garantie totale (ou presque!) d’emploi a son corollaire de contraintes, dont celle d’une affectation potentiellement  loin de son territoire d’origine, de son lieu d’attache. .

le refus de l’enfermement, de la routine: beaucoup ne se voient pas enseignants à vie et compte tenu des difficultés de reconversion (des possibilités existent, mais elles sont compliquées et surtout pas favorisées par l’administration de l’Éducation Nationale) hésitent à franchir le pas.

l’image dégradée du métier: non seulement le métier d’enseignant est dévalorisé  au sein de la société (ne dit on pas d’ailleurs « prof » au lieu de professeur, ce qui est significatif) – mais de plus il est dénigré par nombre d’enseignants eux-mêmes, qui sont souvent dans la complainte lorsqu’ils ils parlent de leur métier et contribuent de fait (effet boomerang) à le déconsidérer encore plus.

la peur d’affronter un « public » que l’on connait mal ou pas du tout : de par leur origine sociale (couches moyennes, moyennes supérieures) souvent issus de familles d’enseignants, les jeunes potentiellement attirés par l’enseignement connaissent mal voire pas du tout une partie importante du public que forment leurs futurs élèves éventuels et dont ils craignent les attitudes et comportements.

Ainsi confrontés à d’autres métiers qui offriront, outre une meilleure rémunération, des possibilités d’évolution, de changement, d’innovation,  le métier de professeur peut apparaitre beaucoup moins attractif, pour reprendre un mot à la mode. Et au moment où se développe le télétravail, qui de fait offre de la souplesse à nombre d’employés du secteur privé,  l’existence de périodes de congés plus importantes pour les enseignants n’est plus considéré comme un facteur décisif de choix professionnel.

Le ministre de l’Éducation, Pap Ndiaye, a évoqué la nécessité de faire un « choc d’attractivité »! Dans mon article précédent sur la santé, j’ai utilisé le terme de « fonction collective » .Je le reprendrai volontiers à propos de l’École, avec un grand E et de la fonction d’enseignement et d’éducation. En d’autres termes cette fonction implique la société dans son ensemble et non seulement les instances éducatives « ad hoc » (Éducation nationale,  établissements, enseignants, organisations syndicales..). Le métier d’enseignant ne redeviendra pas attractif uniquement avec de meilleurs salaires (cf. la situation en Allemagne), il le reviendra si la Société, ses instances politiques, sociales, intellectuelles, culturelles, font de l’éducation un objectif majeur. Certes il y faudra des moyens.

Il y faudra surtout une volonté: celle de refonder, oui refonder notre système de formation d’éducation , d’enseignement.

La maison est à reconstruire. Pour cela il faut tout reconsidérer, hé oui! Reconsidérer les modalités d’accueil et de suivi des élèves (que signifierait une politique du « care » à l’école?) tout comme les programmes trop souvent éloignés de notre monde actuel (combien de lycéens disent s’ennuyer fortement!). Repenser les modalités de formation des enseignants, de gestion des carrières, de reconversion, mais aussi de recrutement de personnes venant  d’autres professions et susceptibles d’apporter de la richesse à l’enseignement. Ainsi un diplômé de géographie qui = qui aura travaillé dans l’ aménagement du territoire, du développement territorial pourra t’il faire un excellent professeur, et passionner ses élèves de par son expérience concrète « de terrain ». Revoir, simplifier, démocratiser les modalités de gestion des établissements, la place donnée à l’autonomie, à l’initiative, à l’expérimentation non bridées par des normes et des directives bureaucratiques. Reconnaitre  une vraie place pour les disciplines artistiques et  sportives, encore souvent considérées comme secondaires (tout lycée ne devrait il pas comporter  un auditorium, permettant la pratique du théatre, de la musique, ainsi qu’un gymnase?). Enfin ouvrir réellement les établissements d’enseignement sur leur environnement, y compris économique, sur la cité; et là il y a des murs à faire tomber, de l’ignorance, de la méfiance, à combattre, de part et d’autre!

Cette refondation ne peut être, ne saurait être le seul fait de ce qu’il est convenu d’appeler la « communauté éducative ». Il est impératif de sortir du face à face (parfois non dénué de complicité) entre administration de l’Éducation nationale et organisations syndicales, et d’inventer des formes nouvelles de délibération, d’échanges où des citoyens, des élèves, des parents, des associatons, des syndicalistes, des spécialistes de l’éducation, des élus, pourront librement aborder cette question  si importante de la refondation de notre École et de notre système éducatif,, de leur place au sein de notre Société.

Nous aspirons tous à un nouveau mode de développement. Cela nous imposera d’inventer de nouvelles « institutions », de nouvelles pratiques. L’École, telle que définie ci-dessus, et les pratiques éducatives, en feront partie!

PS: Une autre question illustrant le délabrement de notre système éducatif et la nécessité de sa refondation a trait à la situation des universités (qui se paupérisent) et aux inégalités de traitement des Grandes écoles et des universités, inégalités révélatrice de choix qui sont non seulement des choix élitistes, mais aussi  des choix de classe.

 

Recommandations d’articles:

Le Monde, édition du 29 aoît 2002: « La pénurie d’enseignants, un problème qui existe presque partout en Europe »

Alternatives économiques, news letter du 25 août 2022: « Changer de boulot pour devenir prof : une première année « ultra-violente » »

 

 

 

 

 

 

 

Questions pour un jour de rentrée

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