Le constat est connu. Il est terrible, accablant. De plus en plus de jeunes connaissent la précarité, s’enfoncent dans la pauvreté et perdent confiance en leur propre avenir. Jeunes salariés qui se retrouvent sans emploi notamment du fait des conséquences de la crise sanitaire, et n’ont pas droit faute d’un temps de cotisation suffisant aux allocations chômage. Jeunes à la recherche d’un premier emploi et qui n’ont droit à rien. Étudiants dont la situation s’est fortement détériorée depuis un an: perte de revenus due à la disparition des « petits boulots »  qui leur permettaient par exemple de payer leur logement, leur nourriture, difficultés à suivre les cours donnés en distanciel avec des risques importants de « décrochage », voire d’abandon des études, quasi impossibilité de faire les stages par ailleurs obligatoires, compte tenu de l’insuffisance de l’offre, solitude, et pour certains désespérance qui peut les conduire au pire.

Mais me direz vous, des mesures ont été prises par le gouvernement et les institutions concernées. De fait sous la pression des associations étudiantes, de syndicats et formations politiques, mais aussi et peut-être surtout hélas, devant l’émotion produite par des tentatives de suicide et par les images d’étudiants de plus en plus nombreux à s’adresser aux associations d’aide alimentaires, telles que les Restos du Cœur, des mesures ont été prises: repas à 1 euro, création de quelques milliers de postes de « moniteurs », gel des frais d’inscription pour la prochaine rentrée universitaire, et ouverture des universités…un jour par semaine (sic!).  Que penser de ces mesures?

L’accès aux cours? Sa limitation dans le meilleur des cas à un jour par semaine est affligeante et méprisante pour les étudiants et leurs professeurs. Chacun sait que rien ne peut remplacer les cours en présentiel, que pour un étudiant, les échanges avec ses camarades et les enseignements sont vitaux. Par ailleurs il est tout à fait possible – ce que nous expliquent nombre d’enseignants et de responsables universitaires-  de rouvrir dès maintenant les universités, avec des modalités d’organisation des cours appropriées. C’est non seulement possible, c’est essentiel: ayons à l’esprit que nombre d’enseignants n’ont jamais rencontré leurs étudiants depuis la rentrée universitaire de 2020! Euh..petite question: les ministres qui ont des enfants étudiants..ils en pensent quoi?

L’accompagnement des étudiants? Les cellules d’écoute, de soutien, d’appui aux étudiants, trop peu nombreuses,  sont débordées de demandes. Certes le gouvernement a mis en place un système de chèque de soutien psychologique, permettant de consulter un psychologue ou un psychiatre de la médecine de ville et de suivre des soins. Mais dans une grande ville universitaire telle que LYON, il n’existe pas de bureaux d’aide psychologique universitaires (BAPU)!

Les aides financières? En dehors de « secours » que peuvent délivrer les CROUS sous certaines conditions et en dehors d’aides ponctuelles que proposent certaines municipalités et  associations, rien, quasiment rien. Nous touchons là une question de fond: que chacun se débrouille!

A cet égard, le débat actuel sur la création d’un RSA jeunes est éclairant. Le refus du gouvernement et du Président de la République de créer une allocation pour les jeunes de moins de 25 ans qui n’ont pas droit au RSA n’est pas d’abord motivé par une raison budgétaire. Ce refus est idéologique: pour nos dirigeants et au delà pour tout ce que notre pays compte de conservateurs, seul le travail est source légitime de revenus. Pour eux,  la solidarité, qu’ils appellent « assistance », n’incite pas à chercher du travail. Cette position idéologique mérite d’être questionnée, tant ses conséquences sociales, politiques mais aussi à terme démocratiques sont importantes.

Rappelons quelques réalités:

  • la pénurie d’emplois: aujourd’hui, et probablement hélas pour une longue période, l’offre d’emplois est insuffisante pour répondre positivement à l’ensemble des recherches d’emplois.

 

  • les revenus tels que le RSA sources de paresse? Il est fréquent d’entendre cette affirmation selon laquelle des personnes préfèrent vivre des revenus sociaux plutôt que rechercher un  travail Outre le mépris d’une telle affirmation envers les chômeurs et en particulier envers les jeunes,  il se trouve qu’elle est contredite par les études conduites à ce sujet (cf.articles récurrents sur cette question en particulier dans le mensuel Alternatives économiques) et tout simplement par la réalité quotidienne des demandeurs d’emplois. Ainsi que l’écrit Gilles Raveaud dans son ouvrage « Économie, on n’a pas tout essayé »  (éd. du Seuil, 2018) sur la moins-disante concurrence entre le RSA et le Smic: « L’argument est connu: il faudrait éviter que le RSA ne soit trop proche du Smic, sans quoi cela découragerait les pauvres de chercher du travail. Or cet argument oublie que vivre avec le Smic est déjà extraordinairement difficile, et que la grande majorité des personnes pauvres cherchent activement du travail. Et il leur est difficile  de la faire efficacement, car cette activité est très coûteuse (garde d’enfants, frais de déplacements..)« . Gilles Raveaud met ici le doigt sur une réalité rarement prise en compte: rechercher du travail demande un minimum de ressources!

 

  • L’absence d’un minimum de revenus pour les jeunes qui en ont besoin leur interdit toute réelle autonomie,  les enferme dans une vie sociale étriquée, limite leurs possibilités de sorties avec les amis, leur accès aux spectacles, et constitue un facteur important de fragilité personnelle.

Tout cela est connu, y compris de nos dirigeants!  Dès lors, pourquoi leur refus de permettre aux jeunes d’accéder à un minimum d’autonomie financière par la mise en place d’une allocation spécifique?

De mon point de vue cette position est la traduction d’une idéologie selon laquelle chacun mérite ce qu’il a, compte tenu de son parcours, de sa formation, de ses efforts personnels. Cette idéologie du « mérite individuel » fait fi de tout ce que les sciences sociales nous ont appris sur l’ensemble des facteurs, conditions, situations, réseaux qui jouent un rôle majeur dans la construction des parcours individuels, dans la connaissance et la maitrise des codes sociaux, dans la capacité à se saisir des opportunités et cela indépendamment du « mérite personnel ».

Cette idéologie qui de fait renvoie l’individu à lui-même, à sa solitude, est une idéologie du mépris. Mépris pour celles et ceux qui ne possèdent ni patrimoine familial, ni garanties financières, ni réseau social pourtant indispensable à la connaissance des bonnes « portes » et à celle des codes permettant de les ouvrir.

Certes il existe quelques exceptions, et les responsables politiques ainsi que les médias ne tariront pas d’éloge sur la réussite « exceptionnelle » d’un jeune  qui a réussi un parcours « brillant » auquel son origine, géographique et sociale, son « milieu » (sic) ne le destinaient en rien! Et cette réussite individuelle sera montée en épingle pour illustrer cette idéologie de l’effort personnel capable d’ouvrir  toutes les portes. Hélas, une étude récente publiée le 19 janvier par l’Institut des politiques publiques.montre que les grandes écoles restent aujourd’hui très sélectives socialement « largement fermées aux étudiants issus de milieux sociaux défavorisés », les femmes « y demeurent sous-représentées » et « la part des étudiants non-franciliens n’a pas progressé » .

Cette idéologie qui « sacre » l’individu  – je reviendrai ultérieurement sur les dégâts de l’individualisation de notre société – conduit à un déni de justice. Elle utilise habilement la rhétorique de « l’égalité des chances », expression dont il conviendrait de questionner l’usage tant ce dernier masque en réalité l’inégalité des conditions sociales.

Enfin cette idéologie consacre la compétition comme moyen et  « l’excellence » comme but ultime de toute formation et de tout parcours. Il faut sans cesse être le meilleur et ce en tous domaines, quels qu’en soient les coûts individuels (burnout),sociaux (chômage) mais aussi politiques (révoltes type gilets jaunes) et démocratiques, avec l’élargissement du divorce civique et la tentation  des partis populistes. J’aborderai ces derniers points, majeurs, en particulier ce qui conduit à la lente désagrégation de notre démocratie, lors de prochains articles.

Quelques propositions pour permettre aux jeunes, à tous les jeunes, d’être réellement acteurs de leur vie et de notre vie collective.

Le constat dressé ci-dessus est sombre. Par sa dureté même il appelle la formulation et la mise en œuvre de nouvelles orientations, de nouvelles perspectives.

Dans l’immédiat:

  • garantir un niveau de ressources aux jeunes à la recherche d’emploi, en formation, étudiants, leur permettant de se loger, se nourrir, étudier et vivre décemment. Saluons à ce propos la décision de la Métropole de Lyon de mettre en place un Revenu solidarité jeunes  pour les 18 – 24 ans qui ne peuvent prétendre aujourd’hui au au RSA et ne bénéficient pas d’aides par ailleurs telles que celles du CROUS. Pour Bruno Bernard, Président de la Métropole, il s’agit »d’un dispositif pour combler les trous. Notre but est d’aider les jeunes les plus précaires à passer ce cap en les accompagnant vers les dispositifs d’insertion. Aujourd’hui,  22, 6% des jeunes de la Métropole vivent en dessous du seuil de pauvreté ». Cette initiative de la Métropole de Lyon devrait inspirer le gouvernement pour que  chaque jeune de notre pays ait droit à des conditions d’existence décentes. Le montant d’un « revenu jeune », ses bénéficiaires potentiels, ses conditions d’attribution sont certes à définir dans le cadre d’une concertation entre les instances concernées et avec l’appui de spécialistes de ces questions. Toutefois, les nombreux travaux d’ores et déjà existants ainsi que l’urgence devraient conduire à instaurer  ce Revenu solidarité jeunes au plus vite

 

  • Ouvrir les universités: l’année universitaire est certes bien avancée, mais cela ne  doit pas être une raison pour refuser l’ouverture tant attendue des universités. Cela nécessitera un peu d’imagination, des changements d’organisation pour que cette ouverture soit compatible avec les respect des règles imposées par la situation sanitaire. Mais madame Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation le doit aux étudiants et aux enseignants. Par respect, mais aussi par obligation de maintenir ouverts et toujours accessibles ces grands services publics que sont nos universités.

A court et moyen terme repenser et réformer les services publics qui à un moment ou à un autre jouent un rôle majeur dans l’éveil, la socialisation,  l’éducation, la formation des jeunes:

  • En premier lieu les services de la petite enfance. Alors qu’il se préparait en vue de l’élection présidentielle de 2012 – dont il fut hélas écarté de par sa propre perversité – Dominique Strauss-khan avait proposé la création d’un vrai Service Public de la petite enfance. Cette proposition demeure d’une grande actualité. Car si tout ne se joue pas nécessairement avant six ans, nous savons combien ses premiers mois et ses premières années vont conditionner l’avenir d’un enfant et ses formes de socialisation. Existence de crèches sur l’ensemble du territoire, services d’accueil et de conseils aux parents, équipements de santé…un beau programme, pas si difficile!

 

  • Viennent ensuite les Services publics d’éducation, dont nous savons qu’ils doivent être profondément réformés pour que l’école, loin de reproduire les inégalités sociales, ce à quoi elle contribue encore largement, soit au contraire  un lieu majeur de réduction de ces inégalités en ayant pour objectif certes de permettre à chaque élève d’acquérir outre une réelle maitrise des savoirs fondamentaux, une réelle capacité d’analyse et de  jugement (un aspect majeur de la formation),  mais aussi de pouvoir développer ses propres dons quel qu’en soit le domaine. Encore aujourd’hui notre système scolaire, dont il est convenu de dire qu’il est bon pour les bons élèves, éprouve beaucoup de difficultés à reconnaitre et favoriser l’expression de talents et le développement de connaissances autres que ceux consacrés depuis des décennies comme majeures. Et de ce fait notre système scolaire forme des hémiplégiques! Changer l’école est certes compliqué. Les conservatismes ne sont pas que du côté des conservateurs et le syndicalisme a beaucoup à faire pour devenir force de proposition pour changer l’école au profit d’abord des élèves (je reviendrai dans un autre article sur le rôle aujourd’hui du syndicalisme). Mais ne s’agit-il pas  là aussi d’un beau chantier, à construire pierre par pierre? Diminuer le nombre d’élèves par classe doit  être un chantier poursuivi et amplifié, qui ne doit pas se limiter au primaire. Trop de collèges et de lycées ont des classes surchargées. La question des programmes et des horaires de travail intellectuel imposés aux élèves ne doivent plus être des questions taboues, tout comme la question de la répartition sur l’année du calendrier scolaire.Place doit être faite aux travaux manuels et à l’expression artistique. Chaque lycée ne devrait-il pas avoir outre un gymnase, un auditorium?

 

  • Les services publics d’orientation, les services et associations d’accompagnement vers l’emploi ont aussi un rôle majeur. Portés à bout de bras par des salariés très impliqués, ils manquent cruellement de moyens  à l’instar des Missions locales. C’est aussi le cas de l’aide à l’orientation pour les lycéens et futurs étudiants trop souvent seuls pour « se débrouiller » dans le maquis des offres de formation et des conditions d’accès à ces formations. En l’absence d’un réel service public d’orientation compétent et accessible, une procédure telle que « Parcoursup » est hautement sélective. Que l’on ne s’y trompe pas, le « capital culturel » des familles est ici déterminant et seul un Service public digne de ce nom, doté de fortes compétences, de personnel qualifiés, et largement accessible peut aider à compenser au moins pour partie, le handicap des jeunes issues des couches populaires. Une anecdote significative: récemment un responsable de « salons étudiants » regrettait que l’absence cette année de ces salons pour cause de pandémie était fort préjudiciable aux  étudiants en recherche d’orientation.Il a probablement raison, mais il est triste que ces « salons » (le terme serait à questionner en ce qu’il recèle de connotations, laissant entendre qu’il y a un « marché » de la formation – tout s’achète, tout se vend -) se soient progressivement substitués au Service public.

 

  • L’accès aux pratiques culturelles: il s’agit d’un point majeur alors même que dans notre pays  il est traité à la marge. Quelle est aujourd’hui la place donnée au sein des établissements scolaires aux enseignements artistiques et aux pratiques d’une discipline, quelle qu’elle soit: musique, chant, théatre, arts plastiques? Ce traitement « à la marge » de l’accès aux pratiques culturelles est d’autant plus regrettable que la pratique d’une discipline, outre la confiance en soi et le plaisir qu’elle donne au pratiquant, est synonyme d’ouverture, de découverte de personnes et de milieux différents. Nous le savons: la pratique d’une discipline culturelle peut entrainer des coûts élevés, ce qui est à même de constituer un obstacle pour les enfants des familles modestes. Certes et heureusement de nombreuses municipalités développent une offre culturelle importante, c’est le cas par exemple de la ville de Vaulx-en-Velin où, pour une somme modique les enfants ont accès aux pratiques de la musique de la danse. Mais ces belles initiatives ne sauraient servir de prétexte au trop faible engagement de l’État!

D’autres pistes, d’autres domaines sont probablement à explorer pour  que les jeunes de notre pays, et en particulier ceux issus de familles modestes puissent s’épanouir, trouver leur chemin. Il ne s’agit pas de faire à leur place, il ne s’agit en rien de minimiser les efforts auxquels chacune et chacun doit consentir pour « grandir », se former, s’affirmer, devenir citoyen, il s’agit simplement de réduire autant que possible ce qui est source d’inégalités, ce qui , quels que soient les efforts fournis, s’oppose  à la réussite personnelle, professionnelle et sociale de trop nombreux jeunes.

Dans cet article, j’ai proposé quelques analyses, attiré l’attention sur l’urgence d’un revenu décent pour les jeunes, proposé de repenser les Services publics en les interrogeant au regard de leur rôle..amis lecteurs  à vous de réagir, de critiquer, de compléter, de proposer. D’importantes échéances électorales approchent: élections départementales, régionales et élection présidentielle. Et si nous mettions ensemble les questions que nous pose aujourd’hui la situation de la jeunesse  au cœur de ces campagnes?

 

 

 

 

 

Jeunes….débrouillez vous!

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