Dans la partie de bras de fer à laquelle se livrent les formations politiques écologistes et de gauche en vue de la prochaine élection présidentielle, l’expression « social/écologie » est régulièrement employée par les uns et les autres pour désigner ce qui pourrait constituer la base (et l’horizon?) d’un éventuel accord respectueux des identités des uns et des autres. Au delà de ce qui pourrait n’être qu’un artifice de langage, et si cette expression a un sens, de quoi parle t’on? En quoi et comment l’articulation entre social et écologie peut-elle être porteuse de sens et d’efficacité?
Pour tenter d’y voir clair, un questionnement me parait fort pertinent, celui qui a trait au « travail », à la transformation de ses conditions d’exercice, aux conséquences de ces transformations pour les salariés et au delà pour notre société et notre vie collective.
Pour illustrer mon propos, quelques remarques sur les conditions de travail de trois secteurs: l’ agro-alimentaire, les transports, les services.
L’agro-alimentaire: horaires de travail « décalés » (nombreuses heures de nuit), exposition à des risques sanitaires importants (usage de nombreux traitements phito-sanitaires et de pesticides notamment), cadences élevées, conditions d’hygiène souvent insuffisantes, les conditions de travail des salariés de l’agro-alimentaire se sont fortement transformées et aggravées sous le poids de l’industrialisation du secteur et des impératifs de rentabilité. Les élevages industriels et les abattoirs, sources de souffrances animales et humaines, sont tristement illustratifs de cette évolution, ainsi que l’analyse avec grande justesse dans ses travaux Jocelyne Porcher, sociologue, directrice de recherche à l’INRA, analyse confortée par le témoignage de Geoffrey le Guilcher, journaliste qui s’est embauché pendant 40 jours dans un abattoir en Bretagne et a consigné le récit de son expérience dans: « Steak machine » (ed. Goutte d’Or, 2017). A propos des salariés des abattoirs, Le Guilcher écrit: « Ceux qui arrivent à la retraite sont cassés physiquement et psychologiquement« . En ce secteur de l’agro-alimentaire, les liens entre production de masse, produits de médiocre qualité, conditions de travail très dégradées sont éloquents.
Le transport: je limiterai mon propos à la « messagerie » et aux métiers de livreur. Métiers au pluriel car aux chauffeurs/livreurs se sont ajoutés depuis quelques années les coursiers ou livreurs à vélo qui travaillent pour les plateformes telles que Deliveroo ou Uber Eats. Il me revient le témoignage qu’un chauffeur/livreur avait donné lors d’une journée d’études sur les transports à laquelle je participais. Décrivant son travail quotidien il avait eu ces mots: « on se fait engueuler en permanence: par le patron parce que l’on ne va pas assez vite, par le client parce que, à cause des embouteillages, des travaux de voirie, on est souvent en retard, et par les usagers de la route parce que notre camionnette les gène, le temps d’une livraison« . Quant-aux coursiers à vélo, chacun a pu lire leurs conditions de travail, de rémunération (quelques euros par course) et d’emploi: nous sommes revenus au travail à la tache, au pré-salariat! Une incroyable régression, non?
Les services: Le champ des « services » est immense. Mais quel que soit leur secteur de travail, services internes aux entreprises, servies aux publics (privés ou publics) les salariés des services, pour une large part d’entre eux, sont contraints à faire du chiffre, et ce bien souvent au détriment de la qualité de leurs missions et des services rendus. C’est le cas pour les policiers au détriment de leur mission de tranquillisation de la voie publique, pour les agents de Pôle Emploi, qui n’ont qu’un temps limité pour recevoir les demandeurs d’emploi et croulent sous les statistiques à remplir, pour les agents de service à la personne à qui l’on demande d’effectuer leurs tâches en temps limité, parfois même minuté, de courir d’une personne à l’autre ainsi que le dénoncent des aides à domicile qui ont créé récemment une page Facebook que je vous conseille de consulter: « la force invisible des aides à domicile » (cf. article du journal « le Monde » en date du 16 avril 2021). C’est aussi le cas, largement mis en évidence par l’actuelle pandémie, d’une grande majorité des salariés des hôpitaux soumis à une pression constante physique et psychologique, et ce d’autant plus qu’ils n’ont aucun droit à l’erreur.
Les raisons majeures de ces conditions de travail dégradées et souvent épuisantes sont hélas bien connues. Recherche de la rentabilité et du profit maximal pour ce qui concerne les activités de production, services effectués au moindre coût, y compris les services publics gérés depuis plusieurs dizaines d’années par des hauts fonctionnaires et des dirigeants adeptes du dogme de la diminution de la dépense publique. En d’autres termes, ces conditions de travail sont en rapport étroit avec notre mode de développement (?) dont nous connaissons pas ailleurs les effets dévastateurs pour la planète.
A partir de ce constat, se pose la question de l’importance des changements à apporter aux conditions de travail, en premier lieu pour les salariés mais aussi et tout autant pour notre société. Imaginons par exemple un droit du travail et des conventions collectives qui conduisent à modifier substantiellement les conditions de travail dans l’agro-alimentaire, cela obligera à repenser cette filière autour des exigences de qualité, y compris des produits.
Imaginons que les livreurs bénéficient obligatoirement d’un réel contrat de travail et d’un salaire décent, cela aura des conséquences quant au recours à cette facilité qui s’est imposée, que nous avons intégré et que nous sommes loin de rémunérer à son juste prix: « à peine commandé, déjà livré »
Imaginons que les agents de Services publics aient plus de temps pour remplir leurs tâches, soient plus disponibles! Que de bienfaits..pour eux et pour les usagers que nous sommes!
Mais me direz vous, comment impulser de tels changements? Les livreurs cherchent à s’organiser, tout comme les agents de services à la personne, mais les résultats sont loin d’être au rendez vous. Les organisations syndicales sont largement absentes du secteur des services et lorsqu’elles sont présentes (hôpitaux, Pôle emploi, Police) elles éprouvent d’énormes difficultés à arracher quelques concessions. La réponse, me semble t’il est dans un double mouvement: celui de salariés qui s’organisent et de mouvements politiques qui intègrent réellement dans leurs projets la question de la transformation du travail, et qui font de cette question une question majeure, y compris pour l’avenir de notre démocratie. Cette question est-elle à l’ordre du jour de leurs travaux??
Dans un article remarquable publié le 16 avril sur le blog qu’il tient à « Alternatives économiques », intitulé « Santé au travail, santé de la démocratie« , Gilles Raveaud montre comment « notre démocratie est de plus en plus malade du travail. Une situation aggravée par les nouvelles technologies, qui accroissent le contrôle des entreprises sur de nombreux salariés »et en appelle à redonner « du pouvoir aux salariés dans la gestion des entreprises. La démocratie exige la démocratie économique »https://blogs.alternatives-economiques.fr/gilles-raveaud/2021/04/16/sante-au-travail-sante-de-la-democratie#.
Dans un prochain article, également consacré aux rapports entre social et écologie, nous essaierons de voir comment les aspirations de très nombreux jeunes salariés questionnent aujourd’hui non seulement l’organisation du travail, mais aussi et peut-être surtout, ses finalités. De quoi retrouver espoir?
MAIS QUI NE TIENT PAS SUFFISAMENT COMPTE A MON AVIS DES LOURDES QUESTIONS POSEES AUJOURD’HUI PAR LE COVID