Face à l’abstraction du monde, reprendre la main

Constat:

Lentement, insidieusement et depuis de nombreuses années, de plus en plus de choses nous échappent. Pour aller du plus simple au plus général, du plus concret au plus abstrait, on peut citer :

Pour ce qui concerne la vie quotidienne :

Le numérique remplace l’humain. Il supprime les contacts, donne lieu au développement de procédures dites « dématérialisées » abstraites et souvent compliquées pour de nombreux usagers. Le monde des services dévient lointain, froid, déshumanisé, désincarné, il n’y a plus d’affect. Le robot remplace non seulement le guichetier, mais aussi le standardiste. Auparavant il y avait une personne avec qui échanger, « à portée d’engueulade » ! L’usager devient objet, numéro, simple dossier. Il est mis « hors-jeu » en tant que personne. Il n’a plus de prises, il n’est plus « acteur ».

En ce qui concerne l’entreprise :

Hormis les petites et parfois moyennes entreprises, le vrai pouvoir n’est plus dans l’entreprise. Les dirigeants locaux n’ont quasiment aucune prise en cas de crise, de restructuration, et les DRH ne sont que les exécutants de décisions prises loin de leur bureau, notamment en cas de licenciements ; les salariés et leurs représentants syndicaux n’ont plus d’interlocuteurs physiques réellement responsables, fiables, sur place, à portée de conflits  et de négociations. Tout cela contribue par ailleurs à une perte de sens et d’intérêt du travail.

En ce qui concerne les services publics :

Les évolutions sont telles qu’il est devenu très difficile aux agents publics de pratiquer une autonomie de gestion, une prise d’initiatives en phase avec les réalités et besoins locaux. Tout ou presque est décidé « d’en haut », encadré par des circulaires dont l’application se révèle souvent difficile, voire très contraignante. Ce ne sont qu’objectifs (chiffrés) à atteindre, avec les pressions correspondantes sur les personnels dont les effets désastreux sont bien connus notamment dans les milieux de la santé, de la police, de la justice, et ce sans souci de la qualité réelle des services rendus aux usagers.

En ce qui concerne les territoires :

Il est de bon ton aujourd’hui de mettre en valeur les territoires, voire de les célébrer, alors même que pour une grande partie d’entre eux leurs marges d’action réelles sont très faibles, voire quasi nulles. Cela est particulièrement vrai pour de nombreux territoires ruraux où l’évolution des modes de production agricoles, les restructurations d’entreprises industrielles contribuent à appauvrir le tissu économique local et sa population, à accélérer les migrations vers les centres urbains, phénomène aggravé par la fermeture de nombreux commerces (tués par les hyper marchés) et des services publics.

Au sein de ces territoires les habitants au mieux subissent ces situations, parfois se révoltent (gilets jaunes) ou tout simplement décident de partir vivre ailleurs. Pour les habitants de ces territoires et plus largement pour une grande partie de la population, les autorités, instances, institutions censées produire des réponses à leurs attentes (par exemple en matière de services publics) sont progressivement devenues des entités abstraites,  aux missions peu claires, et dont l’implantation physique est de plus en plus éloignée de nombreux territoires et usagers.

Tout cela conduit à nourrir une incrédulité croissante quant à l’efficacité du politique et de l’action publique, et un désintérêt pour l’engagement collectif.  A cet égard, l’échec des manifestations contre la réforme des retraites n’a pu que renforcer un sentiment d’impuissance, de lassitude. On assiste de fait à une sorte de démission collective, propice à tous les populismes, à toutes  les démagogies.

Et la (les) gauche(s) ?

Elles ne sont pas présentes ou très indirectement  sur ce terrain du vécu par les citoyens de leurs conditions de vie. Malgré la tentative (déjà ancienne) de Martine Aubry de lancer la problématique du « care », les citoyens en tant que « personnes » sont très peu pris en compte par la gauche. Comment expliquer sinon, surtout après plusieurs années de gauche au pouvoir, et ce à tous les niveaux (État, Régions, Départements) les conditions d’accueil dans les EHPAD, la détérioration de l’accueil en crèches, tout comme l’abandon des étudiants précaires à leur triste situation. Et que penser de l’accueil, notamment des femmes victimes de violence, dans nombre de commissariats ? Des situations dans les prisons ? De la déshérence de la psychiatrie notamment en milieu ouvert ? Quant à l’accueil des migrants, exilés et autres réfugiés?

La gauche poursuit sa revendication traditionnelle, celle du renforcement des services publics, du développement des moyens (finances, personnels) mais n’aborde quasiment jamais les questions des nécessaires réformes (enseignement primaire, hôpital, administration pénitentiaire, police entre autres) et celle des pratiques professionnelles des agents publics. La gauche, globalement ne connait plus les territoires, dans leur singularité. Sa lecture de l’agriculture est trop souvent superficielle, ancienne, ou moraliste ! Depuis la fin des années 1980 elle s’est enfermée dans une approche techniciste des problèmes et des situations, elle est à son tour devenue « abstraite ». Elle ne parle plus aux gens.

Aujourd’hui elle semble vouloir retrouver des liens avec les couches populaires. Mais le mal est fait, le fossé est profond, la confiance est rompue.

Que faire ? Comment reprendre la main ?

Quelques propositions :

  • Décrire ce qui est. Produire un discours clair, compréhensible sur cette abstraction,  afin d’aider à l’analyser, à le déconstruire, à en montrer le côté mortifère, les limites.
  • Proposer d’en sortir ; remettre au cœur du discours politique la vie concrète des personnes, les questions de logement, d’éducation, d’accueil, de soins, d’accompagnement, de transport, de revenus et de « pouvoir de vivre », remettre les salariés au cœur de l’entreprise et/ou des services ; penser non plus « territoires » mais organisation sociale et politique au sein des territoires..
  • Arrêter de penser transition écologique de façon technico/abstraite mais élaborer localement des plans d’adaptation et de transition avec en particulier les acteurs économiques locaux, trop souvent stigmatisés au lieu d’être associés aux réflexions et projets
  • Etc.

Comment agir ?

Pourquoi ne pas lancer un vaste mouvement autour de l’idée et de la nécessité du « Pouvoir d’agir » ? En s’appuyant sur des transformations en train de se faire (cf. politique logement et quartiers populaires dans la  métropole de Lyon et autres actions en cours), en argumentant sur le Pouvoir d’agir, possible parce que nécessaire.

Il nous faut autour de cet « impératif d’agir »,  interpeller les consciences, les associations, les initiatives  multiples qui chacune dans leur coin œuvrent à recoudre un petit morceau du tissu social. On ne peut attendre que cela vienne tout seul , il nous faut allumer l’étincelle, donner envie !

Les moyens pour éveiller cette prise de conscience, décider de ces engagements : manifeste, contacts réseaux, personnalités qui font autorité, chercheurs, universitaires, associations, autres ? Tout est ouvert.

Seule l’apathie, la réserve, le sur place, nous sont interdits ! Sauf à faire le choix d’attendre que de guerre lasse, cette apathie et la résignation ne se transforment en révoltes dont l’histoire nous apprend que, peut-être à leur corps défendant,  elles nourrissent l’installation de pouvoirs et régimes autoritaires, voire plus.

Le pire peut arriver, mais  le risque de son avènement diminuera si nous décidons de sortir de notre passivité, de notre attentisme, en d’autres termes, de redevenir citoyens et non plus sujets !

Échangeons, rencontrons nous pour ensemble, donner forme et vie à ce « Pouvoir d’agir »!

Une gifle qui fait mal et interpelle!

Après la Hongrie, après la Suède, l’Italie se donne à son tour aux forces de droite extrême. Oui, se donne! Ce n’est pas par un coup d’état mais par les urnes que les forces dites post-fascistes, conduites par une ex-admiratrice de Mussolini, et qui a pour devise « Dieu, la famille, la patrie » (un petit air pétainiste, vous ne trouvez pas?) ont fait main basse sur la démocratie Italienne.

Ce résultat est une Gifle, une énorme Gifle qui va marquer durablement le visage de l’Italie mais aussi et tout autant ceux de l’Europe et de notre propre pays.

l’Italie tout d’abord dont le visage  arborera  la flamme tricolore des origines du MSI, et dont les citoyens vont peu à peu découvrir les politiques ségrégationnistes, les limites aux libertés individuelles, le racisme « inclusif » (les exilés devenant interdits de séjour) et probablement une énorme crise économique et sociale aggravée par l’isolement dans lequel, de fait, l’État Italien va entrer.

L’Europe ensuite dont l’Italie a été un des six membres fondateurs, en signant le 18 avril 1951 le « Traité de Paris » instituant la Communauté Européenne du charbon et de l’acier (CECA).

L’Europe pour qui le vote des citoyens italiens constitue une énorme gifle, un affront. Un boomerang ne manqueront pas de faire remarquer ceux qui, depuis des années, pointent les dégâts provoqués au sein des pays membres par la politique de concurrence tous azimuts prônée et dictée par l’Union Européenne, et par les pressions européennes sur les politiques budgétaires des États (à cet égard, noter que l’obstination de E.Macron à imposer sa réforme des retraites a notamment pour cause sa volonté de « plaire » à la Commission de Bruxelles en arguant que cette réforme participera à une réduction des déficits publics, ce qui soit dit en passant donne des arguments au discours de Marine le Pen relatif à notre « abandon de souveraineté! »).

Les autres pays d’Europe dont en  particulier l’Espagne où le mouvement Vox, d’extrême droite, ne fait que prospérer et notre pays, la France,  dont beaucoup d’éléments semblent indiquer qu’elle est prête comme la Suède, comme l’Italie, à se donner à l’extrême droite lors de la prochaine élection présidentielle.

Mais non, diront nombre de « bien-pensants », Marine Le Pen et l’extrême droite ne gagneront jamais l’élection présidentielle.

C’est un peu vite oublier la lente mais régulière progression de l’extrême droite depuis plus de 20 ans, c’est oublier la lente mais continue augmentation de l’abstention (phénomène en relation avec le précédent), c’est oublier les dégâts des discours de responsables politiques de droite, mais parfois aussi hélas de gauche selon lesquels l’immigration est un problème majeur, c’est  fermer les yeux sur l’état réel de notre pays, sur l’abandon de couches sociales et de territoires, sur les effets désastreux de la détérioration des services publics, et non des moindres, à savoir les services publics de Santé, d’Éducation, de Justice, c’est oublier les effets considérables de 40 années de « chômage de masse » qui ont stigmatisé des familles, des territoires, c’est oublier les dégâts d’une politique de l’offre.

C’est oublier les effets de l’abandon de toute réelle politique d’aménagement du territoire et de développement territorial, c’est méconnaitre les effets d’un « management » (quel mot horrible) des agents publics tout orienté sur « le chiffre » et qui a à voir avec la forte progression du vote des fonctionnaires pour le RN telle que l’analyse Luc Rouban, chercheur au CEVIPOF (cf article du journal « Le Monde » en date du 2 septembre 2022).

C’est peut-être surtout oublier que nombre de citoyens sont concrètement, dans leur vie quotidienne, la leur, celle de leurs parents, de leurs enfants,  les oubliés  de politiques publiques susceptibles en théorie de répondre à leurs attentes.

Rares aujourd’hui, de mon point de vue, sont  les Responsables Politiques qui connaissent la vraie vie de leurs concitoyens et cherchent à créer des relations efficientes entre les politiques globales qu’ils inventent et la vie réelle des personnes. En son temps Martine AUBRY avait proposé de développer une politique du « Care », c’est- à dire du « Prendre soin ». Peu l’ont prise au sérieux, alors même que cette question est aujourd’hui devenue majeure.

Enfin le résultat des élections en Italie est une énorme Gifle à notre démocratie. Nous la savons malade, fatiguée, mais nous l’espérions encore capable de nous protéger du pire. Cela est révolu.

Il nous faut la réinventer et il y a urgence. Comment faire? Par quel bout prendre le problème? Les tentatives développées ces dernières années de démocratie participative ou citoyenne ont vite montré leurs limites, leurs insuffisances (d’autant plus qu’elles étaient captées par des « militants » issus des couches moyennes et supérieures). Oui il nous faut réinventer notre démocratie représentative (ce qui pose à la fois la question de la représentation, des institutions et des rapports de ces institutions aux citoyens). Et pour cela écouter les chercheurs, nombreux,, qui travaillent sur ces questions, et dans le même mouvement nous confronter aux situations concrètes et aux questions qu’elles posent: quelle représentation des ouvriers et des employés, des habitants des cités, des habitants de territoires isolés, comment briser la sur représentation des classes moyennes et supérieures parmi nos élus, quels nouveaux rapports concrets créer entre couches populaires et classes moyennes?

Il nous faut renouer avec le réel, avec le pays tel qu’il est (voir en particulier les récents travaux de J.Fourquet et notamment  son ouvrage « la France sous nos yeux », Le Seuil, 2021).

C’est peut-être ainsi que nous pourrons commencer à re-construire notre démocratie.

La gifle donnée par les électeurs italiens nous y invite..avant qu’il ne soit trop tard!

Questions pour un jour de rentrée

En ce jour de rentrée scolaire, et comme à l’accoutumée, les « marronniers » sont nombreux à faire les titres de la presse quotidienne et à offrir aux chaines de télévision des reportages bon marché, avec les images d’enfants heureux de retrouver leurs copains ou de petits qui ont une larme à l’œil, à moins  que ce ce ne soit leur papa ou leur maman, au moment de franchir la porte de l’école maternelle. Mais, et plus encore que les années précédentes ces « marronniers » laissent vite la place aux interrogations, questions, angoisses qui désormais surgissent dès lors que le sujet de l’École, de l’éducation, est abordé.

L’École au sens large, évocatrice du parcours qui de la maternelle à l’enseignement supérieur a pour mission première de donner le goût d’apprendre, de découvrir, pour contribuer à former des citoyens cultivés, c’est-à dire capables de se prendre en charge, de savoir  former leur propre jugement, de comprendre leur environnement et au delà le monde dans lequel ils vivent. Une École source d’enrichissement, éducatrice de responsabilité et donc source de liberté. Une École qui n’est pas celle de la soit-disante « égalité des chances », formule cache-sexe qui consacre l’acceptation de la concurrence entre individus (et dont nous savons  à l’avance quels seront les gagnants – relire Bourdieu!), mais et en tout premier lieu d’ apprentissage de nos valeurs: ce n’est pas un hasard si notre  si belle devise, « Liberté-Égalité-Fraternité » est au fronton de nos écoles primaires.

Cette École publique, laïque, gratuite et obligatoire, magnifiée sous la troisième République, et plus largement notre Éducation Nationale sont-ils  encore en capacité de remplir leurs missions?

Sans être spécialiste des questions d’éducation il est aisé de se rendre compte que le bateau « Éducation nationale » prend l’eau de toutes parts. De jeunes et talentueux étudiants, qui feraient d’excellents professeurs, hésitent à monter à bord, peu rassurés par le cap (ou l’absence de cap ) du navire. Des parents, inquiets quant à la qualité de l’accueil, de l’enseignement et  de la vie scolaire au sein des collèges et lycées publics, et de l’attention portée à leurs rejetons, préfèrent « se saigner » pour faire le choix du privé et ainsi de plus en plus, des « passagers potentiels » de l’Éducation nationale rejoignent les rives de l’enseignement privé, y compris pour l’école primaire (le secteur « privé » accueille environ 27% des collégiens et lycéens et près de 15% des élèves du primaire).

Mais revenons aux difficultés de recrutement. De quoi sont elles révélatrices?

La première raison avancée est celle de l’insuffisance des salaires. De fait les professeurs sont largement sous payés dans notre pays: début de carrière à environ 1400 € nets/mois (pour une formation de bac+5) et lente progression salariale. Cette faible rémunération en dit long sur le mépris des gouvernants et hauts fonctionnaire de Bercy pour un métier qui devrait être au cœur des préoccupations publiques, tant il a d’importance sociale et sociétale. Cette faible rémunération est d’autant plus rébarbative qu’aujourd’hui les dépenses obligatoires pour un jeune professeur qui débute dans la vie active sont nettement plus élevées qu’il y a 10 ou 20 ans, alors même que ces dix dernières années le pouvoir d’achat des professeurs a baissé (environ 10%). C’est en particulier le cas des dépenses liées au logement, dont le coût a énormément augmenté ces dernières années (je suis toujours surpris comment cette question du logement et du mal logement de personnes de plus en plus nombreuses n’est pas réellement prise au sérieux hormis quelques tentatives – Paris, Lyon, entre autres – d’encadrement des loyers).

Mais cette insuffisance des rémunérations, bien  réelle, ne semble pas être la seule raison des difficultés de recrutement, ou plus exactement, du rejet du métier de professeur dans ses conditions actuelles d’exercice. Ainsi que le note un article du quotidien « Le Monde » (numéro du 29/08/2022), relatif à la pénurie des enseignants: « la crise du recrutement des professeurs est un problème dans presque toute l’Europe, et même au-delà. Les 4 000 enseignants français qui manquent à l’appel à l’issue des concours du printemps 2022 semblent un moindre mal par rapport aux situations, souvent préoccupantes, des pays voisins. En Allemagne, 4 400 postes étaient vacants en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé du pays, à la reprise des cours, le 10 août.

En Italie, 150 000 postes sont désormais occupés par des remplaçants au statut précaire. Tandis que l’agence suédoise de l’éducation, Skolverket, prévoit qu’il faudra former 153 000 enseignants d’ici à 2035, pour compenser les départs à la retraite et les changements de carrière de ceux que la profession n’intéresse plus. Les Anglais, eux, savent que la crise couve depuis longtemps, mais elle n’en est pas moins violente : 72 % des directeurs d’&établissement font appel à des remplaçants pour couvrir des postes censés être permanents. 

Pourquoi ce rejet du métier de professeur? Faute d’un étude sérieuse (pas un sondage, mais une vraie étude sociologique, avec interviews des intéressés, enquête au sein des institutions d’enseignement, des servies de gestion etc.) nous nous contenterons de proposer quelques pistes à explorer:

l’exigence de maitrise de son lieu de vie: beaucoup plus que dans les décennies précédentes, le choix du lieu de vie, de la qualité de ce lieu de vie est prioritaire dans les parcours professionnels, et ce pour la plupart des métiers. L’importance de ce choix est tel  que des jeunes attirés par l’enseignement préféreront le statut de contractuel au statut de titulaire, qui, s’il offre une garantie totale (ou presque!) d’emploi a son corollaire de contraintes, dont celle d’une affectation potentiellement  loin de son territoire d’origine, de son lieu d’attache. .

le refus de l’enfermement, de la routine: beaucoup ne se voient pas enseignants à vie et compte tenu des difficultés de reconversion (des possibilités existent, mais elles sont compliquées et surtout pas favorisées par l’administration de l’Éducation Nationale) hésitent à franchir le pas.

l’image dégradée du métier: non seulement le métier d’enseignant est dévalorisé  au sein de la société (ne dit on pas d’ailleurs « prof » au lieu de professeur, ce qui est significatif) – mais de plus il est dénigré par nombre d’enseignants eux-mêmes, qui sont souvent dans la complainte lorsqu’ils ils parlent de leur métier et contribuent de fait (effet boomerang) à le déconsidérer encore plus.

la peur d’affronter un « public » que l’on connait mal ou pas du tout : de par leur origine sociale (couches moyennes, moyennes supérieures) souvent issus de familles d’enseignants, les jeunes potentiellement attirés par l’enseignement connaissent mal voire pas du tout une partie importante du public que forment leurs futurs élèves éventuels et dont ils craignent les attitudes et comportements.

Ainsi confrontés à d’autres métiers qui offriront, outre une meilleure rémunération, des possibilités d’évolution, de changement, d’innovation,  le métier de professeur peut apparaitre beaucoup moins attractif, pour reprendre un mot à la mode. Et au moment où se développe le télétravail, qui de fait offre de la souplesse à nombre d’employés du secteur privé,  l’existence de périodes de congés plus importantes pour les enseignants n’est plus considéré comme un facteur décisif de choix professionnel.

Le ministre de l’Éducation, Pap Ndiaye, a évoqué la nécessité de faire un « choc d’attractivité »! Dans mon article précédent sur la santé, j’ai utilisé le terme de « fonction collective » .Je le reprendrai volontiers à propos de l’École, avec un grand E et de la fonction d’enseignement et d’éducation. En d’autres termes cette fonction implique la société dans son ensemble et non seulement les instances éducatives « ad hoc » (Éducation nationale,  établissements, enseignants, organisations syndicales..). Le métier d’enseignant ne redeviendra pas attractif uniquement avec de meilleurs salaires (cf. la situation en Allemagne), il le reviendra si la Société, ses instances politiques, sociales, intellectuelles, culturelles, font de l’éducation un objectif majeur. Certes il y faudra des moyens.

Il y faudra surtout une volonté: celle de refonder, oui refonder notre système de formation d’éducation , d’enseignement.

La maison est à reconstruire. Pour cela il faut tout reconsidérer, hé oui! Reconsidérer les modalités d’accueil et de suivi des élèves (que signifierait une politique du « care » à l’école?) tout comme les programmes trop souvent éloignés de notre monde actuel (combien de lycéens disent s’ennuyer fortement!). Repenser les modalités de formation des enseignants, de gestion des carrières, de reconversion, mais aussi de recrutement de personnes venant  d’autres professions et susceptibles d’apporter de la richesse à l’enseignement. Ainsi un diplômé de géographie qui = qui aura travaillé dans l’ aménagement du territoire, du développement territorial pourra t’il faire un excellent professeur, et passionner ses élèves de par son expérience concrète « de terrain ». Revoir, simplifier, démocratiser les modalités de gestion des établissements, la place donnée à l’autonomie, à l’initiative, à l’expérimentation non bridées par des normes et des directives bureaucratiques. Reconnaitre  une vraie place pour les disciplines artistiques et  sportives, encore souvent considérées comme secondaires (tout lycée ne devrait il pas comporter  un auditorium, permettant la pratique du théatre, de la musique, ainsi qu’un gymnase?). Enfin ouvrir réellement les établissements d’enseignement sur leur environnement, y compris économique, sur la cité; et là il y a des murs à faire tomber, de l’ignorance, de la méfiance, à combattre, de part et d’autre!

Cette refondation ne peut être, ne saurait être le seul fait de ce qu’il est convenu d’appeler la « communauté éducative ». Il est impératif de sortir du face à face (parfois non dénué de complicité) entre administration de l’Éducation nationale et organisations syndicales, et d’inventer des formes nouvelles de délibération, d’échanges où des citoyens, des élèves, des parents, des associatons, des syndicalistes, des spécialistes de l’éducation, des élus, pourront librement aborder cette question  si importante de la refondation de notre École et de notre système éducatif,, de leur place au sein de notre Société.

Nous aspirons tous à un nouveau mode de développement. Cela nous imposera d’inventer de nouvelles « institutions », de nouvelles pratiques. L’École, telle que définie ci-dessus, et les pratiques éducatives, en feront partie!

PS: Une autre question illustrant le délabrement de notre système éducatif et la nécessité de sa refondation a trait à la situation des universités (qui se paupérisent) et aux inégalités de traitement des Grandes écoles et des universités, inégalités révélatrice de choix qui sont non seulement des choix élitistes, mais aussi  des choix de classe.

 

Recommandations d’articles:

Le Monde, édition du 29 aoît 2002: « La pénurie d’enseignants, un problème qui existe presque partout en Europe »

Alternatives économiques, news letter du 25 août 2022: « Changer de boulot pour devenir prof : une première année « ultra-violente » »

 

 

 

 

 

 

 

Vous avez dit « Conscience sociale »?

Il y a peu, j’ai rendu visite à un ancien médecin du quartier de « derrière les voutes » (quartier situé au sud de la gare de Perrache) que nous avions connu lorsqu’il soignait nos enfants. Gérard, tel est son prénom, était associé à un autre médecin. Il était aisé d’avoir un rendez-vous- y compris parfois à une heure tardive et – ce qui aujourd’hui passerait pour un luxe – il assurait une permanence un samedi sur deux, en alternance avec son collègue et se déplaçait si besoin au chevet de ses patients. Ambiance Covid aidant, notre discussion aborde les questions de santé et plus particulièrement celle des pratiques de ses confrères. D’une voix lasse, Gérard me fait part de son désappointement et de sa grande incompréhension devant l’évolution des pratiques des médecins libéraux: « Comment, dit-il, peut-on refuser un nouveau patient? Un médecin n’a pas le droit de faire cela! » En l’écoutant je pense à ce couple d’amis venus s’installer dans notre quartier et qui éprouve une grande difficulté à trouver un médecin. « Comment, poursuit-il, peut-on justifier que des cabinets soient fermés à 17h, et qu’il soit  impossible d’avoir une consultation en soirée ou un samedi? « . Gérard aurait pu également se désoler du fait que ses collègues aujourd’hui ne se déplacent plus au chevet de leurs patients.

Cette discussion me rappelle un échange que j’avais eu au printemps 2021 avec madame Guillin, épouse du docteur François-Yves Guillin connu dans les milieux de la Résistance pour avoir été le secrétaire personnel du Général Delestraint, chef de l’Armée secrète. (François-Yves Guillin est décédé le 18 octobre 2020 et son épouse le 31 août 2021). Évoquant les activités professionnelles de son mari – un rhumatologue reconnu – elle me décrit les difficultés qu’elle avait à obtenir de son mari qu’il refuse ses patients, qui, pris de douleurs,  venaient sonner chez eux le samedi soir, voire le dimanche matin. » Voyez vous, nous n’avions pas de vie à nous, car mon mari ne refusait jamais de recevoir un patient« .

Mais me direz- vous cette période est révolue! Les médecins ont le droit d’avoir une vie « normale » (euh…c’est quoi une vie normale?), de partir en week-end, d’avoir du temps en soirée pour leurs enfants. Sur ce dernier point, remarquons que l’inégale répartition des tâches dites domestiques, qui perdure fortement en notre pays, explique pour partie la moindre disponibilité des médecins libéraux, la profession s’étant fortement féminisée. Une remarque me  vient toutefois à l’esprit: le corps des magistrats est également fortement féminisé et pourtant de nombreuses magistrates travaillent en soirée, parfois très tard, ce qui peut aussi être le cas de femmes médecins qui travaillent en hôpital.

Mais revenons à la question des pratiques des cabinets de médecins libéraux, qui exercent ce qu’il est convenu  d’appeler la médecine de vile, terme évocateur du choix d’installation de nombreux médecins libéraux qui vont décider de  leur lieu d’installation non pas en fonction des besoins sanitaires réels mais d’abord du cadre de vie auquel ils aspirent.

Depuis 2002 (voir  à ce propos un article du journal « Le Monde » en date du 13 aout 2022 sur la crise de l’hôpital et ses causes) ils n’ont plus d’obligation de gardes, celles-ci relevant du simple volontariat. Parallèlement de nombreux dispensaires ont disparu et les maisons médicales de garde  sont peu nombreuses et parfois fort éloignées des lieux de résidence des patients.

Cette situation en particulier lors des week-ends et des périodes de congés, où nombre de cabinets sont fermés, est anxiogène pour de nombreux patients, pour les jeunes parents confrontés à une maladie de leur enfant et dans l’incapacité de joindre leur médecin ou pédiatre habituel, pour les personnes souffrant d’un handicap, âgées, seules. De plus elle conduit nombre de personnes à se rendre « aux urgences » ce qui contribue à l’engorgement de ces dernières.

Tout comme certains métiers de la Fonction Publique (je m’en expliquerai dans un prochain billet) le métier de médecin, fût il libéral, n’est pas un métier comme les autres. Il participe à ce que j’appellerai une « fonction collective », c’est- à dire à la prise en charge par un ensemble d’acteurs et d’institutions, d’un domaine majeur qui s’appelle « La Santé ». Il engage de ce fait à prendre sa part pour que cette « fonction collective » soit le plus efficiente possible.

Pour que cette « fonction collective » demeure, voire redevienne efficiente, il est nécessaire aujourd’hui de se mettre autour d’une table pour aborder des questions trop souvent éludées parce que porteuses de remises en cause et d’exigences. Ces questions sont celles:

  • du libre choix d’installation du médecin: en quoi est-il justifié? Les études de médecine, en France (il faut compter environ 20 000 €  par étudiant et par an) sont essentiellement prises en charge par l’État et les collectivités territoriales. Il ne serait pas illogique qu’en retour, l’État  et les collectivités territoriales aient leur mot à dire sur l’implantation des cabinets médicaux compte tenu des besoins réels des populations et des territoires. Les enseignants, les magistrats, entre autres,  ne choisissent pas leur première affectation. Mais me direz vous les médecins ne sont pas fonctionnaires. Exact, mais, voir ci-dessus,  ils participent à une « fonction collective » et par ailleurs sont de fait rémunérés sur fonds publics.
  • de l’accessibilité aux consultations: s’il ne saurait être question de revenir à des pratiques qui relèvent d’abord du dévouement, on ne saurait plus longtemps éluder la question des horaires de consultation et des gardes, en particulier les week-end et pendant les périodes de congés. A l’instar de ce qui existe pour les pharmacies, des « tours » de garde pourraient être institués, moyennant des contre-parties à négocier (coût de la consultation?). Aisées à instituer en ville, ces gardes pourraient avoir lieu soit au cabinet des médecins soit dans des maisons médicales de garde en nombre suffisant, le nombre de médecins, conséquent, permettant un nombre de jours de garde par médecin relativement faible.
  • des modalités d’exercice de la médecine dite « de ville ». Il convient en réalité d’encourager fortement le développement de cabinets de groupe, autant que possible pluri-disciplinaires, permettant une garantie d’accueil des patients (y compris en cas d’absence du médecin traitant habituel) et ce sur des plages horaires suffisantes. De plus ce type d’organisation permet à des médecins qui le souhaitent de travailler à temps partiel sans nuire à la qualité d’accueil des patients. Par ailleurs  la création de cabinets de groupe,  mieux encore de maisons de santé pluridisciplinaires constitue probablement une réponse adaptée pour les territoires actuellement délaissés par les médecins libéraux.

D’autres questions sont probablement à débattre. Celles de l’accueil (ras le bol des plate-forme téléphoniques et de l’ impossibilité de joindre directement un  médecin), des rapports entre généralistes et spécialistes, du lien généraliste/spécialiste/hôpital, etc.

Comme celles énumérées  ci-dessus elles émergent aujourd’hui peu à peu dans le débat public. Elles  conduiront à des proposition novatrices et positives dès lors que l’exercice des métiers de la santé et en tout premier l’exercice du métier de médecin, qui exigent une haute conscience professionnelle,  seront avant tout animés par une forte et exigeante conscience sociale.

 

 

CS;

 

 

 

 

 

 

Mépris, méconnaissance, ou les deux?

Vendredi 4 mars 2022. Ce matin les journaux de la Presse Qutodienne Régionale (PQR pour les initiés) devaient publier « La lettre aux Français » par laquelle Emmanuel Macron avait décidé d’annoncer sa candidature à la prochaine élection Présidentielle. Abonné au quotidien « LE PROGRES » et ouvrant fébrilement ce quotidien pour me plonger dan la lettre écrite par ce président qui rêve de continuer à l’être, j’ai été très déçu car de lettre il n’y a pas,  seul un article de commentaires renvoyant, pour connaitre le contenu intégral de la lettre, au  site internet du journal.

En 1988, François Mitterrand avait annoncé sa candidature à un second septennat  par une lettre envoyée par la poste aux foyers des électrices et électeurs. Par la poste, pour toucher effectivement chacune et chacun. Cette lettre, souvenez-vous, était intitulée: « Lettre à tous les français ». Oui, tous! De fait nous ne pouvons que constater qu’Emmanuel Macron n’est pas soucieux que sa lettre parvienne à chaque électeur. Deux constats me permettent d’écrire cela: les lecteurs de la PQR sont de moins en moins nombreux et surtout, Internet est sélectif, et ceci beaucoup plus que ne l’imaginent les « geeks » qui entourent Macron et conçoivent les instruments de sa prochaine campagne (remarque qui concerne d’ailleurs les autres candidats!).

Sélectif pour diverses raisons: possession de matériel adéquat, maitrise de l’usage, lieux et temps disponible pour cela; je suis frappé par exemple comment des « amis » écrivent sur FB alors même qu’ils sont censés être au travail – ce qui me choque d’ailleurs –  liberté que ne peuvent prendre un salarié de l’hôpital, un ouvrier de la métallurgie, un éboueur, et tant d’autres!

En d’autres termes, les modalités choisies par Macron pour annoncer sa candidature expriment tout à la fois , et dans quel ordre je n’en sais rien, mépris et méconnaissance.

Mépris des classes dirigeantes pour « les petits », les « sans grades », les « gens de peu » pour reprendre le titre de ce magnifique ouvrage (paru en 1991) dans lequel Pierre Sansot porte un regard si juste sur les classes populaires. Ces dernières années ce mépris a été une constante de l’exercice du pouvoir par E.Macron, avec des phrases qui ont fait mal: « les gens qui ne sont rien ».. »il suffit de traverser la rue »..avec le refus d’augmenter le Smic et les prestations sociales, mépris envers des professions entières: celles des enseignants, des soignants, des juges..dont les conditions de travail se sont réellement dégradées ces 5 dernières années (ce qui traduit un profond mépris des Services Publics), mépris de la haute fonction publique aux compétences de laquelle a été préférée le recours fort dispendieux à des cabinets de conseil, par ailleurs étrangers, auxquels on a ouvert la porte de l’État et de ses données, mépris des jeunes, à qui l’on a rogné l’Aide Personnalisée au Logement, et refusé des moyens financiers leur permettant d’étudier en de bonnes conditions, mépris envers les plus fragiles et en particulier les personnes âgées dépendantes, mépris largement souligné par de nombreux auteurs, des « premiers de corvée », mépris des réfugiés et autres exilés dont nombre sont contraints de vivre à la rue..et j’en oublie.

Méconnaissance: ces classes dirigeantes, et Macron en est hélas un cas archétypal, connaissent mal voir ne connaissent pas si ce n’est et encore de façon livresque,  ce que vivent la majorité de  leurs concitoyens hormis ceux de leur classe sociale et ce d’autant plus que rien ne les a préparés à cette connaissance. Élevés dans l’entre soi de milieux aisés, fréquentant des établissements d’enseignement privés quasiment réservés à leur classe,  puis éventuellement  des « grandes écoles » dont aucune à ce jour n’est réellement démocratique, quelle connaissance concrète ont ils de la vie d’un ménage d’employés? De la vie concrète  d’un collège, d’un hôpital, d’un tribunal, de la vie au quotidien dans une petite ville éloignée des services, de la galère des transports en ile de France (ceux qui connaissement t le RER B me comprendront)? De la difficulté à se loger lorsque l’on est jeune? De la difficulté à vivre, tout simplement, avec moins de 2000 euros par mois pour un ménage? De la difficulté à joindre une administration,  un interlocuteur, dans un monde  où tout est devenu, numérique aidant, impersonnel et anonyme?

Le temps qu’il a fallu au pouvoir pour commencer à comprendre ce que révélait le mouvement des « gilets jaunes » est une triste illustration de cette méconnaissance profonde.

Mépris et méconnaissance. Quoi qu’en dise Emmanuel Macron sur l’air du déjà entendu « je ferai différemment » (plus sournoisement?), le prochain quinquennat risque fort d’être à nouveau dur aux petits , aux « gens de peu » mais aussi plus largement aux  classes moyennes qui feraient bien de se réveiller, de prendre conscience de ce qui se prépare, de sortir de leur vie autocentrée: orientation vers des systèmes de retraite privés, évolution des établissements d’enseignement vers un système libéral et concurrentiel et ce dès l’école primaire, diminution des impôts qui se traduira par une diminution de la capacité de l’État et des pouvoirs publics à assurer la solidarité..fracturation augmentée de notre société qui ne peut qu’être source de tensions et de violences multiples.

Parlant de Giscard d’Estaing, de Gaulle a eu cette phrase: « Son problème c’est le peuple ». Aujourd’hui pour Emmanuel Macron, pour ceux qu’il  représente, avec qui et pour qui il agit, le peuple  n’est même plus un problème, c’est un impensé.

 

 

 

 

 

 

 

Allo, le service public?

Quelques anecdotes vécues récemment. Besoin d’un renseignement pour un voyage en train, que je ne peux trouver sur le site de feu SNCF, vous savez cette ancienne grande entreprise nationale que les génies de la « Start-Nation » ont rebaptisé du nom ridicule de »OUI.Sncf »! Je me rends à la gare de Lyon-Perrache, où transitent chaque jour environ 100 000 voyageurs. Direction le  bureau d’information. Fermé. Et j’apprends qu’il est fermé définitivement! « mais monsieur il vous faut aller à la gare de Lyon Part-Dieu« . Mais bien sur!

TER Lyon Saint-Etienne: aller retour, pas de contrôleurs à bord. TER Lyon-Villefranche : pas de contrôleurs à bord. Train Corail Lyon-Dijon (oui je suis un adepte du train). Ah voici un contrôleur. Je lui fais part de ma stupéfaction de n’avoir vu aucun contrôleur lors de mes trajets en RER. »Mais monsieur, effectivement il n’y a quasiment jamais de contrôleurs sur les trajets TER dont vous me parlez. Et ajoute t’il  il en de même sur le TER Lyon-Vienne. Parfois, mais rarement, des équipes volantes..! ». Ainsi donc, si un passager a un souci, de quelque ordre que ce soit, s’il survient un incident, les passagers sont livrés à eux-mêmes. Puis je ajouter de façon quelque peu perfide que cette absence quasi continuelle de contrôleurs est une belle incitation à la fraude?

L’envie vous prend elle d’aller passer un weekend dans les Hautes Alpes? Ayant pris par le passé la ligne Grenoble-Briançon, je me régale à l’idée de refaire le parcours sur cette voie unique, voyage dont la durée vous laisse le temps tout à la fois d’admirer le paysage, surtout  en cette période automnale où flamboient les couleurs des mélèzes, frênes, trembles et autres érables qui tranchent avec le vert sombre des sapins et de lire un roman. « Mais monsieur cette ligne n’est plus en service. Et pour aller à l’Argentière-les-Écrins, Il vous faut passer par Valence puis prendre le train Valence/ Briançon..Euh…attendez, entre Valence et Crest il y a encore des travaux et là il vous faut prendre un bus » !  Quant à la gare d’Argentière-les-Écrins, c’est devenu un lieu fantomatique. Plus de guichet. Et un distributeur de billets en panne.

De son vrai nom L’Argentière-la-Bessée, cette petite ville au riche passé industriel (mines d’argent, usine d’aluminium) qui s’est développée gràce à l’énergie hydro-électrique..et à l’arrivée du rail (!) a vu depuis la fermeture des usines, les services publics la quitter, nombre de ses commerces fermer..et sa gare être transformée en une sorte de hall fantomatique  alors même que l’Argentière constitue la porte d’entrée du Parc National des Ecrins, superbe lieu de courses en montagne et de randonnées, et se trouve à quelques kilomètres seulement de stations de ski…

Parcourir ces lieux, prendre le temps d’en admirer le patrimoine – le patrimoine bâti est superbe – de lire les traces largement visibles du passé industriel, mais aussi agricole et viticole, permet aussi bien et peut-être mieux que des discours ou des études savantes de sentir, de ressentir, de connaitre, de comprendre ce qu’a été le riche passé de cette région, et de mesurer les dégâts, sociaux et humains produits par la politique économique conduite depuis les années 80.

Ainsi et pour en revenir à la question des services publics, il ne fait pas bon d’avoir un souci de santé un tant soit peu sérieux si vous habitez cette vallée de la Gyronde (très joli nom pour cette rivière – qui a l’allure d’un torrent – née du confluent de l’Onde et de la Gyre).  Pour certains examens que l’hôpital de Briançon ne peut réaliser vous serez orienté soit sur Gap (une bonne heure de train) ou Grenoble, soit 3 à 4 heures..en bus.

Au retour de cette région magnifique, je me suis demandé si nos hauts-fonctionnaires, technocrates et dirigeants dont certains fréquentent cs lieux pour des courses en montagne ou pour le ski avaient quelque conscience de ces réalités que vivent les habitants des villages de ces régions oubliées. Je vous laisse le soin de répondre.

Ainsi que je le notais récemment sur ma page FaceBook la question des Services Publics, de leur réparation, de leur réforme, de leur adaptation au temps présent doit être  la priorité des priorités des candidats à l’élection présidentielle, tout comme la revalorisation,  sociale, statutaire, indemnitaire des fonctionnaires et la réaffirmation de leurs missions.

Vous avez dit fonctionnaire? Au moment où les candidats conservateurs nous ressortent la vielle rengaine de la diminution  du nombre de  fonctionnaires, je m’efforcerai dans un prochain article, de montrer combien le métier de fonctionnaire n’est pas un métier comme les autres, et combien et plus que jamais, pour faire société, pour re-construire notre Nation,  nous en avons besoin!

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment Re-faire Société? Que signifie la proposition d’un nouveau « Service National »?

Récemment et à plusieurs reprises, Arnaud Montebourg candidat à la prochaine élection présidentielle, a proposé de « mettre en place un service national, civil ou militaire, universel, pour au moins 6 mois, et égalitaire pour les hommes et les femmes »  (émission « On n’est pas couché », Interview dans le JDD, discours à Clamecy et à Frangy, entre autres).

Étrangement cette proposition pour le moins iconoclaste n’a suscité quasiment aucune réaction. Pour ma part j’ai été très étonné: lorsque Arnaud Montebourg a fait cette proposition pendant l’émission animée  par Laurent Ruquier et Léa Salamé, ni l’un ni l’autre n’ont réagi, plus préoccupés manifestement par la recherche de la petite phrase qui fera mouche que par les échanges sur le fond (nous touchons là un autre problème, celui de la déliquescence des émissions animées par des commentateurs et commentatrices touche à tout, qui survolent les problèmes, ne travaillent manifestement pas leurs dossiers, et recherchent pour prendre une expression qui leur va bien,  à « faire le buzz »).

Proposition rétrograde, voire réactionnaire? Ou tout au contraire, en phase avec ce que demande l’évolution de notre société? Ainsi que je le notais dans mon article précédent, il s’est  instauré dans notre société  une concurrence du  tous contre tous, avec  pour corollaire le développement du « chacun pour soi », et de nombreuses formes de ségrégations: à l’école, à l’embauche, pour l’accès au logement, et même aux loisirs.

Cette évolution conduit à une méconnaissance des autres, de l’autre, et lorsqu’il est différent, au développement de formes de peurs, de rejets, de racisme, de pratiques d’exclusion, peurs et rejets dont se nourrissent les populismes, ainsi que  celles et ceux qui les alimentent.

Un nouveau service national, entendu comme un service que chacune et chacun apporterait  à la nation pendant une durée déterminée, si tant est qu’il puisse être mis en œuvre,  serait-il à même de participer à casser des solitudes, à faire se rencontrer, se découvrir, se connaitre, se comprendre, des jeunes d’origine, de lieu de vie, de parcours, de statuts différents? De produire des relations nouvelles  entre ces jeunes et la société?

Quelques remarques: de très nombreux jeunes, filles et garçons, vivent de fait dans des « ghettos » au sens où leur espace de vie quotidien, à de rares exceptions, est restreint à leur cité, leur quartier, leurs « sorties » étant au mieux la fréquentation du centre commercial ou de l’hyper centre ville voisin, où l’espace de quelques heures ils viennent rêver en ces lieux qui n’ont de cesse d’alimenter sans cesse ce couple terrible de tentation/frustration sur lequel repose notre société de consommation.

Quant aux jeunes qui de par le hasard de leur naissance vivent en des milieux plus aisés, plus « ouverts », qui pour nombre d’entre eux voyagent, pratiquent des loisirs et des sports au coût financier parfois élevé (ski, équitation, etc.), que connaissent-ils des jeunes issus d’autres milieux? Eux qui ont souvent la possibilité de partir en week-end, dont les parents ou la famille possèdent une résidence dite « secondaire », que connaissent ils de la vie des jeunes dont l’horizon lors des week-end ou des vacances est strictement le même que celui des autres jours de la semaine ou de l’année?

Point d’accablement envers quiconque ou de jugement en ces propos, mais un constat:  notre société a failli. Elle a failli dans l’intégration de toute une jeunesse issue de l’immigration. Elle a failli dans sa prétendue politique « d’égalité des chances ». Obnubilée par le mythe de la réussite individuelle, elle a oublié qu’une société apte à favoriser l’émergence des réussites personnelles, apte à favoriser le développement des talents,  est d’abord une société « égalitaire », une société où chacun , dès la naissance, et quel que soit le patrimoine matériel et culturel de sa famille,  a un réel accès aux biens collectifs. A cet égard les pays du nord de l’Europe, l’Islande, la Suède et d’autres sont riches d’enseignement.

Et si un nouveau « Service national », bien pensé, peut être à même de contribuer à combler des fossés d’ignorance, d’incompréhension – et personnellement ce projet me parait devoir être sérieusement étudié – ne faut-il pas, pour contribuer à refaire société,  repenser notre politique de la « petite enfance » et notre politique scolaire?

Politique de la petite enfance, avec un réseau dense de crèches publiques, ou gérées par délégation du public, réseau qui permettrait effectivement à chaque enfant de pouvoir être accueilli. Nous savons tous ce qu’apporte une crèche pour l’éveil des petits, mais aussi pour l’accompagnement des jeunes parents qui trouvent là des conseils en matière d’éducation, de santé, d’alimentation, mais aussi des soutiens qui ne peuvent qu’être que bénéfiques notamment pour les familles mono-parentales. Ces crèches devront être installées dans  des espaces vastes, attractifs, lumineux, posséder des escapes de plein air.

Crèches mais aussi espaces de jeux, petits parcs, piscines, permettant par exemple la pratique dite des « bébés nageurs », espaces ou les parents pourront emprunter des jeux, des livres etc. Autant d’investissements qui contribueront de fait à produire de « l’Égalité », cette valeur inscrite dans notre devise républicaine mais si peu mise en œuvre!

Politique scolaire! En écrivant cet article il me revient à l’esprit le beau projet de « Grand service public laïc et unifié de l’éducation », inscrit dans les 110 propositions du candidat François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981, et porté par Alain Savary, dès qu’il fut nommé ministre de l’Éducation Nationale. L’objectif de ce projet  était de rapprocher les établissements publics et privés d’enseignement. « La première version du projet est annoncée en . Son idée importante est la constitution d’« établissements d’intérêt public » qui associeraient les écoles publiques, les écoles privées et les collectivités territoriales. Ce système permettait de préserver l’autonomie des différents acteurs, notamment avec la reconnaissance pour toutes les écoles d’un « projet d’établissement »(source: wikipedia). On imagine combien la « carte scolaire », mais aussi les pratiques  des uns et des autres, enseignants, parents, élus,  auraient été modifiées si ce beau projet avait vu le jour. On imagine aussi l’impact  pour les établissements et leurs élèves qui, fréquentant un établissement public ou privé,  se seraient trouvés non en situation de concurrence, mais de coopération, voire de complémentarité.

Hélas, sous les coups portés tant par les catholiques conservateurs que par les « laïcards » de gauche, ce projet qui par ailleurs semble bien n’avoir  jamais été prioritaire pour Mitterrand, sera abandonné en 1984. Désavoué, Alain Savary démissionnera.  Là où Aristide Briand avait réussi à trouver, dans un contexte oh combien difficile,  de remarquables compromis pour faire adopter la belle loi  sur la séparation des Eglises et de l’État ( loi du 9 décembre 1905), la gauche au pouvoir en 1984 a capitulé.

S’ensuivra un développement de l’enseignement privé « boosté » par ce qui pour lui a été une victoire,  et par l’effet désastreux des politiques successives de restriction des finances publiques qui, cumulées avec l’absence de réforme de fond de l’école et notamment de l’école primaire, détourneront progressivement de plus en plus de familles de l’enseignement public.

Si l’école est essentielle dans le processus de socialisation des enfants, et par ricochet, dans l’enrichissement des parents par les  rencontres et échanges entre familles différentes qu’elle permet, si elle constitue le premier pilier pour faire société, il est d’autres institutions, d’autres lieux où se construisent des rapports sociaux. Nous poursuivrons cette réflexion sur ce qui peut nous permettre de refaire société dans un prochain article.

Mais dès maintenant n’hésitez pas à réagir, contredire, argumenter, proposer. C’est aussi à travers le débat que nous faisons société!

 

 

Faisons nous encore Société?

Bonjour!  Après deux bons mois d’inactivité, je reprends la plume sur mon blog pour aborder une question qui me taraude depuis fort longtemps, celle du délitement progressif de notre société, du lent déchirement de notre tissu social, de la « ringardisation » de ce qui dans les périodes antérieures a pu contribuer à « faire société ». Et s’il était besoin d’indicateurs pour convaincre les sceptiques de la réalité de ce délitement sociétal, le vocabulaire de nombre de responsables associatifs, administratifs, politiques et autres est lumineux: ils n’ont de cesse d’évoquer, d’invoquer, pour ne pas dire convoquer le « lien social », le « vivre ensemble », les « communs », comme si l’usage de ces termes dont la répétition en affaiblit le sens était à lui seul en capacité d’agir.

Cette lente dislocation de notre société, dont il conviendrait de reconstruire l’histoire et le cheminement par un travail spécifique, est intimement liée à l’histoire économique, sociale, culturelle et politique des 50 dernières années. Oui il nous faut remonter un demi-siècle pour tenter de comprendre qui nous sommes devenus.

Les années 1970 sont marquées par des conflits sociaux majeurs: 1972, grève du « Joint français » à St Brieuc,  « Grève du lait » en Bretagne, 1973, grève des « Lip » à Besançon. Ces conflits, les derniers grands conflits « classiques », seront caractérisés par leur originalité, leur dureté, leur longueur. Ils auront un énorme retentissement dans l’opinion et seront à la charnière de deux mondes: celui des grands établissements industriels  et d’une agriculture encore pour partie paysanne et celui des restructurations industrielles avec leurs cortèges de fermetures d’usines, de licenciements, et celui de la concentration et de l’intensification des exploitations agricoles, dont le nombre diminuera des 2/3 entre 1970 et 2000. Les classes productives vont connaitre de fortes mutations, avec la diminution progressive et continue des « ouvriers d’usine » avec pour corollaire l’affaiblissement de leurs représentations politiques et syndicales, et celle des paysans, avec pour corollaire la dévitalisation de nombre de communes rurales et l’arrivée sur le marché du travail de centaines de milliers de demandeurs d’emplois que le dit « marché du travail » ne pourra absorber.  Ce sera, aggravé par les effets du premier « choc pétrolier » (1973) le début du chômage de masse.

Avec le développement de ce dernier  apparait une première fracture au sein de notre société, fracture qui ne cessera de s’élargir entre deux mondes: celui des « inclus », terme qui a émergé au début des années 1990 pour désigner celles et ceux qui avaient un emploi, un revenu décent, participaient à la vie sociale, étaient en capacité de se projeter dans l’avenir et les « exclus », à savoir les chômeurs, les « travailleurs pauvres » (terme  apparu au début des année 1980), de plus en plus relégués aux confins des espaces de richesse, enfermés dans des espaces, les fameuses « cités », qui allaient peu à peu devenir des espaces de reproduction de la pauvreté. Cités qui ne se sont pas auto-développées mais ont été conçues, pensées, construites dans le cadre d’une politique de logement et de peuplement qui allait regrouper et progressivement entasser les travailleurs modestes et pauvres, dont faisaient partie pour une large part  les immigrés et enfants d’immigrés, enfants de ces travailleurs algériens, marocains, et autres que les entreprises françaises étaient aller recruter sur place dans les années 1960.

Malgré les politiques imaginées (politique de la ville) et les efforts déployés notamment par les associations et de nombreuses collectivités locales, cette fracture ne s’est pas résorbée. Sans aller jusqu’à reprendre le terme d’apartheid, utilisé en son temps par Manuel Valls, force est de constater qu’aujourd’hui il y a de moins en moins de rencontres et encore moins de partages entre populations différentes, de par leur origine, leur statut social, leur lieu d’habitat. Il suffit d’observer ce qu’il se passe au sein des espaces publics. Ainsi pour prendre l’exemple de notre ville de Lyon, déambuler un samedi place Bellecour, rue de la République ou au sein du centre commercial de la Part-Dieu est saisissant: personnes des classes moyennes, moyennes supérieures et habitants des quartiers populaires et des cités non seulement se croisent dans une indifférence totale mais souvent s’évitent. Ils ne se sentent plus membres d’une même société. Le sont-ils encore?

A cette première fracture sociale, due largement à notre incapacité collective à enrayer le chômage et la pauvreté, s’ajoutent les multiples fractures, divisions, oppositions engendrées par ce que nous appellerons « le sacre de l’individu ». Il est d’usage de s’en prendre à « l’individualisme » qui régnerait en maitre sur notre société et, sans prendre le temps d’une analyse quelque peu sérieuse (la paresse étant à l’évidence la qualité première de nombre de commentateurs), de dénoncer en termes moraux cet individualisme, ce qui a pour effet de n’en avoir aucun si ce ce n’est se faire plaisir à bon compte sur le dos d’autrui! Mais qu’y a t’il derrière ce « sacre de l’individu », sa mise au pinacle de la vie sociale?

Tout se passe en réalité comme si l’idéologie de la forme d’économie libérale qui s’est imposée depuis la fin des années 1980 avait envahi, colonisé  nos institutions, nos politiques publiques ainsi que nos vies sociales et individuelles, et même nos modes de pensée, en d’autres termes notre culture. Ainsi avons nous accepté l’orientation de la politique européenne autour de cet axiome stupide de la « concurrence libre et non faussée », dont la mise en œuvre a participé à la mise en concurrence des services publics essentiels à la vie sociale et à leur dégradation. Il suffit d’aller en Allemagne et de prendre les trains dont l’exploitation a été confiée à des entreprises prives concurrentes pour se rendre compte de la dégradation du service offert par la Deutsche Bahn! Et dire que nous acceptons sans broncher ou quasiment la prochaine privatisation de l’exploitation de lignes régionales et de lignes TGV jusqu’à ce jour exploitées par la SNCF.

Ce processus de mise en concurrence systématique a progressivement gagné la gestion interne des entreprises et au delà les parcours individuels. Ainsi se sont développées des pratiques d’individualisation des rémunérations, d’avancement « au mérite », voire de compétitions internes visant à désigner, et récompenser ceux jugés les plus performants. Plus grave si l’on peut dire, des pratiques se développent pour contourner le droit du travail et les conventions collectives, en confiant de plus en plus à des « entrepreneurs » individuels des tâches des entreprises et, fin du fin, en niant même la notion de contrat de travail à travers ce qu’il est convenu d’appeler l’uberisation. Si vous êtes sensibles aux évolutions lexicales vous aurez remarqué combien les termes de « management », « performance », et autres synonymes ont envahi notre quotidien. Mais cette idéologie, résumée par une formule aussi juste que brutale, celle de » la concurrence de tous contre tous », a des impacts bien réels sur nos choix familiaux et individuels, et concourt de fait à l’individualisation des pratiques, trop souvent confondue avec l’individualisme.

Ainsi en va t’il pour le choix de l’école à laquelle confier l’éducation de ses enfants. Mettre ses enfants à l’école publique du quartier où l’on habite ne va plus de soi. Certes  le choix d’écoles confessionnelles ou de lycées privés « boites à bachot » ne date pas d’aujourd’hui! Mais la proportion grandissante de familles y compris modestes qui choisissent une école privée, interroge. Quelles en sont les raisons profondes? Dans un contexte de chômage de masse, de craintes pour l’avenir, les parents souhaitent mettre le maximum d’atouts de leurs côtés pour la réussite scolaire et ensuite professionnelle de leurs enfants. Nul ne saurait les critiquer pour cela. Mais pourquoi ne font ils plus confiance à l’école publique? Quelles sont les parts respectives de réalités et de fantasmes dans les raisons évoquées pour justifier le choix de l’école privée: sécurité, qualité de l’encadrement et de l’enseignement, mais aussi crainte, avouée ou non, que la mixité sociale de l’école publique, qui a pour mission d’accueillir tous les enfants, soit source de médiocrité, et donc pénalise leurs propres enfants?

Ainsi un des premiers piliers qui permet de « faire société », à savoir l’école est il fragilisé. Il en est d’autres tels que les organisations collectives, syndicats, partis politiques, certains types d’associations, qui connaissent une réelle désaffection. Les effectifs des organisations syndicales,  déjà peu élevés, stagnent. Ceux des partis politiques fondent à vue d’œil. Les électeurs boudent les urnes, et ce quel que soit le scrutin: politique, professionnel, corporatiste. Les raisons en sont multiples: l’incapacité des organisations politiques et des gouvernants à inventer et mettre en oeuvre des politiques aptes à réduire le chomage et la pauvreté, à freiner l’augmentation  exponentielle des loyers, à garantir la sécurité au quotidien, à maintenir des services publics accessibles et de qualité et  à offrir des perspectives crédibles y sont pour beaucoup, tout comme l’énorme difficulté des organisations syndicales à contrer les remises en cause successives du droit du travail, des droits à retraite, à obtenir le maintien de salaires décents.

De même les associations qui exigent un minimum d’engagement continu peinent à renouveler leurs adhérents, à l’inverse de celles qui offrent des services, des possibilités de loisirs, un peu comme si le temps libre dont nous disposons et qui pour beaucoup, grâce aux 35h, est nettement plus important que dans les périodes antérieures était en quasi totalité utilisé au profit de l’espace privé.

Il est d’autres évolutions qui fragilisent notre capacité à faire société et en particulier celle de l’évolution sociomorphologique de nos espaces de vie et de travail, de plus en plus morcellés, éclatés, individualisés et ségrégués. Cette évolution est à prendre très au sérieux, tant elle contribue à détruire la réelle mixité sociale offerte par les quartiers populaires et à favoriser le développement de quartiers de l’entre soi, quel que soit le statut social et les niveaux de revenus de celles et ceux qui y vivent.

Il nous faudrait aussi interroger le rôle des inégalités, sociales, culturelles, économiques, territoriales dans leur contribution à la fracturation de notre société, au durcissement des rapports sociaux, et au développement de formes de violence. Nous le ferons à l’occasion d’autres articles sur cette question majeure de ce qui fait ou non société.

Faisons nous encore société? Pas si sur! Qu’en pensez vous? Le débat est ouvert! L’originalité de ce blog tel que je l’ai voulu est de poser des questions, d’engager le débat, de dialoguer,  de réfléchir ensemble aux chemins à défricher pour, simplement, participer à construire une société réellement humaine.

Dans un prochain article je poursuivrai les réflexions entamées ici et j’aborderai quelques pistes pour contribuer à Refaire Société. D’ici là, vos commentaires, analyses, réactions, propositions, sont les bienvenus!

 

 

 

 

 

 

 

 

Présidentialisme et démocratie sont ils compatibles?

Dans un ouvrage remarqué, « Le sacre des notables« , édité en août 1985 (Fayard), soit  un peu plus de trois  années  après la publication le 2 mars 1982, de la loi n° 82-213 « relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions », Jacques Rondin (pseudonyme d’un haut-fonctionnaire, par ailleurs sociologue) estime que commence le temps  des grands élus. Au terme d’une enquête qui lui fera parcourir le territoire national, il livre sa conclusion: « Faite par des élus, pour des élus, et pour faire de grands élus, elle (la loi de décentralisation) leur accorde la plus belle part et ignore les corps intermédiaires…Les citoyens sont conviés au sacre de leurs notables, s’en contenteront ils« ?

Alors que les citoyens sont conviés les 20 et 27 juin prochains à élire leurs conseillers départementaux et régionaux, c’est bien en réalité, si ce n ‘est au sacre, du moins au choix des grands notables que sont les Présidents de  Départements et de Régions qu’ils sont invités.

A cet égard les campagnes électorales en cours et principalement les campagnes pour les élections régionales, ainsi que les commentaires auxquels elles donnent lieu, sont édifiants. De quoi est-il question si ce n’est de savoir qui sera le prochain ou la prochaine président(e) de Région? Pour conduire quelles politiques, avec quels objectifs, avec qui? Là n’est pas la question principale. Outre ses conséquences en terme de très forte personnalisation de la campagne électorale, avec tous les excès afférents, cette focalisation extrême sur le choix du prochain ou de la prochaine président(e) de Région est le résultat d’un longue histoire, qui commence avec de Gaulle et s’est amplifiée sous le gouvernement de François Mitterrand.

Dans un ouvrage remarquable, dont je vous recommande vivement la lecture, « DE GAULLE, une certaine idée de la France » (éd. du Seuil, 2019) Julian Jackson, professeur d’histoire à Queen Mary University of London, analyse longuement la conception et la pratique du pouvoir de de Gaulle. Les pages consacrées à l’élaboration de la constitution, qui se fait dans le secret, sont saisissantes. De Gaulle souhaite limiter au maximum les pouvoirs du parlement et l’autonomie du gouvernement, ce qui sera source de conflits entre lui et Michel Debré en charge de la rédaction de la nouvelle constitution (c’est d’ailleurs sur un conflit lié à l’interprétation de la constitution que de Gaulle congédiera Debré en 1962 et nommera Pompidou Premier ministre).

Soumise à référendum le 28 septembre 1958, cette réforme constitutionnelle donne lieu à d’âpres débats y compris au sien de la gauche. Le parti communiste s’y oppose ainsi que Pierre Mendès-France qui dénonce ce qui lui parait être un plébiscite,  alors que Gaston Defferre, un « poids lourd » du parti socialiste, appelle à voter oui. Le parti socialiste se range à la position de Defferre ce qui entraine en son sein une scission et la création du Partis socialiste autonome. Nous retrouverons  Gaston Deferre un peu plus loin…est-ce un simple hasard?

Promulguée le 4 octobre 1958, cette nouvelle constitution sera  interprétée de façon très personnelle par de Gaulle. Ainsi, alors que la constitution précise qu’il appartient au gouvernement, sous l’autorité du Premier ministre,  » de déterminer et conduire la politique de la nation« , celle-ci sera décidée et imposée en réalité par de Gaulle, et souvent par lui seul, au grand dam de ses conseillers et du Premier ministre. De Gaulle met en place et impose une pratique très personnelle du pouvoir présidentiel, pratique de concentration des pouvoirs qui sera renforcée par une réforme constitutionnelle majeure, celle qui par référendum le 28 octobre 1962, instaure l’élection du Président de la République au suffrage universel et consacre, en droit, la prééminence du chef de L’État. Ainsi se met en place le « Présidentialisme« , c’est- à dire  un système de gouvernement  dans lequel le chef de l’État est en même temps chef du gouvernement.

N’est-ce pas  ce qu’il se passe aujourd’hui dans nos régions?

La loi du 2 mars 1982 stipule en effet que le Président de Région est l’exécutif.

Extraits de la loi : « Le Président est l’organe exécutif de la Région…Il prépare et exécute les délibérations du Conseil Régional. Il est seul chargé de l’administration. Il peut (rien ne l’y oblige, nr) déléguer l’exercice d’une partie de ses fonctions aux vice-présidents. Il est le chef des services de la Région ».

Petit rappel historique: L’élaboration de cette loi, première d’une longue série – ainsi parle t’on des lois de décentralisation – , avait été confiée par François Mitterrand à Gaston Defferre, au grand dam de Michel Rocard dont l‘engagement en faveur non seulement de la décentralisation mais aussi  d’une réelle régionalisation, était de notoriété publique, en particulier depuis la parution à l’automne 1966 du fameux rapport « Décoloniser la province« , dont il était l’un des rédacteurs.

Ce rapport faisait suite aux « Rencontres de Grenoble » où la question centrale était: « comment prépare t’on l’après gaullisme » ? A ces rencontres, Michel Rocard présente deux rapports sur les nationalisations et les institutions. Hubert Dubedout questionne sur l’absence du « fait régional » dans les discours et invite à questionner l’État centralisé. Suite à cette interpellation, la commission à l’initiative des rencontres organise des débats en région et cela donne lieu, en novembre 66, à la publication du fameux rapport : « Décoloniser la province ».  Quelles auraient été l’orientation et le contenu des lois de décentralisation si Michel Rocard en avait eu la responsabilité?

Pour Gaston Defferre il convient en premier lieu d’émanciper les collectivités territoriales, de les libérer de la tutelle de l’État exercée par les préfets. En cela il s’agit d’une réforme majeure, souhaitée depuis de très nombreuses années. Ce faisant telle qu’elle est conçue cette loi organise une concentration des pouvoirs entre les mains d’un personne, tout comme si Defferre, qui avait ferraillé à maintes reprises contre le pouvoir central, prenait en quelque sorte une revanche. Aux préfets tout puissants, allaient succéder de tout aussi puissants notables.

Puissants car rien dans les lois de décentralisation ne va venir freiner ou encadrer leur exercice du pouvoir. C’est notamment le fait de la confusion entre « délibératif » et « exécutif »: Le président de Région détermine la politique à conduire, préside l’assemblée dont il fixe l’ordre du jour, dirige les servies chargés de mettre en œuvre les décisions. « Il est important qu’en tout lieu un seul gouverne« , avait écrit Bonaparte lors de la création des Préfets en février 1800. Il est d’ailleurs amusant de constater que les pouvoirs donnés aux nouveaux présidents (de Région, de Département) sont quasiment identiques à ceux donnés aux Préfets lors de leur création.

Cette concentration des pouvoirs va entrainer de nombreuses conséquences qui interrogent quant au rapport entre l’exercice de ce Présidentialisme  au niveau régional et la démocratie, tant pour le fonctionnement interne de l’institution régionale que pour sa contribution au développement démocratique à l’échelle d’une Région

L’institution régionale, en tout point, est entre les mains du Président de Région.

S’il est légitime que le Président de Région choisisse les membres de son cabinet, qu’en est il des modalités et des fondements du choix des vice-présidents et plus encore des chefs de service? Ces derniers peuvent-ils avoir de réelles marges de manœuvre, rejeter par exemple un dossier présenté par un « ami » du Président, quand bien même ce dossier n’est pas éligible? Quant au fonctionnement de l’assemblée, à l’instar de ce qu’il se passe d’ailleurs pour une assemblée communale ou métropolitaine, s’il permet à chaque sensibilité politique de s’exprimer, il est plus proche d’une chambre d’enregistrement que d’un lieu de réels échanges, susceptibles d’infléchir les orientations et mesures soumises aux débat et aux votes. En réalité, tout est « joué » d’avance et Le Président, qui décide de l’ordre du jour et préside les séances, peut s’il le juge utile se montrer « magnanime  » en acceptant telle proposition venant d’une sensibilité politique autre que celle de sa majorité. Mais me direz-vous, cela pourrait se dérouler autrement. Le Président de Région pourrait décider de l’ordre du jour de façon démocratique, rechercher des rapports constructifs avec son opposition notamment en des domaines majeurs pour les citoyens, tels que ceux de l’emploi, de la formation, des transports, de  la localisation des lycées, etc.

Sauf  à ce que le Président de Région ait de lui-même cette volonté – ce qui reconnaissons le, peut parfois être le cas – une réforme de l’institution régionale n’est elle pas à proposer, réforme qui notamment instaurerait une séparation nette entre « délibératif » et « exécutif », avec la création d’un « gouvernement régional », responsable devant l’assemblée? Réforme qui s’accompagnerait de celle du mode d’élection, les électeurs se prononçant sur des listes régionales et non départementales? Une telle réforme ne devrait pas se limiter à l’aspect institutionnel, même si ce dernier est indispensable du point de vue démocratique. La question de l’élargissement des compétences et moyens des Régions devra être mise en débat, je pense en particulier au domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais cela ouvre une autre question, celle des rapports entre Services régionaux de l’État et Régions. Aux pratiques d’affrontement, d’évitement ou de co-existence qui caractérisent actuellement ces rapports, ne faudrait-il pas réfléchir à des réelles pratiques de coopération? Utopique? Et pourquoi pas?

La Région, espace de démocratie?

A lire les textes des différentes lois de décentralisation, la question démocratique en est largement absente, hormis bien évidement pour ce qui concerne l’élection au suffrage universel des membres des assemblées. La question de fond, celle que pose l’énorme abstention attendue lors du  prochain scrutin est celle des rapports concrets, réels. entre l’institution régionale, les acteurs régionaux de l’économie, de l’enseignement, de la culture.. les acteurs sociaux, et tout simplement, les citoyens. L’institution régionale a tendance à fonctionner en vase clos, les élus sont pour le moins méconnus, voire inconnus des électeurs et citoyens pour une grande majorité d’entre eux, l’importance territoriale des Régions redessinées sous le quinquennat de François Hollande ajoutant un élément d’opacité.

Mais pourriez vous objecter, il existe auprès de chaque Conseil Régional un Conseil Économique Social et Environnemental (CESER). Composé de représentants de la société civile ce Conseil est obligatoirement saisi pour avis par la Région sur un certain nombre de rapports, dont les rapports budgétaires et peut s’autosaisir de sujets, faire des études sur telle ou telle question. Hélas on ne peut que constater que ses avis sont très rarement pris en compte et encore moins suivis d’effets. en réalité les Présidents de Région ignorent superbement les travaux de ces CESER tout comme le gouvernement ignore aussi superbement les travaux, pourtant riches et pertinents, du Conseil Économique, Social et Environnemental. Présidentialisme, vous dis-je, en Région comme à Paris.

Quelles réformes proposer, quelles pratiques transformer? Il n’existe pas une mais des pistes à explorer. Outre celles qui ont trait à la réforme institutionnelle, indispensable, outre celle des compétences et des moyens, il en est une, difficile, car elle s’attaque à des pratiques anciennes et confortables pour les formations politiques, celle qui a trait au choix des candidats aux élections régionales. Doit on continuer d’accepter le cumul des mandats? Doit on accepter qu’un élu exerce plus de deux mandats de suite? Mais surtout sur quel profils choisir les candidats? Doit on accepter que les élections régionales soient pour certains le tremplin vers d’autres mandats et pour d’autres un lot de consolation?

Cette question du profil des candidats, autre que leur appartenance à telle ou telle formation politique et leur place à l’intérieur de ces formations, est celle de la « valeur ajoutée » apportée par chaque candidat en fonction de son parcours, de son insertion sociale, professionnelle, associative, de son implication éventuelle dans des mouvements régionaux. Poser cette question oblige à sortir des pratiques actuelles qui conduisent à sélectionner des candidats dans un vivier tout petit, dans l’entre soi non pas des formations politiques mais des dirigeants de ces formations. J’aurai l’occasion de revenir sur cette question. Elle au cœur des réformes à travailler pour sortir de la crise, énorme, de notre démocratie représentative!

A la lecture de cet article vous aurez des réactions, des avis contraires, des objections, mais aussi des questions, des propositions à formuler. N’hésitez pas, ce blog est là pour ça!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un emploi, certes! Mais pour quel travail?

Ils ont la trentaine, ou un peu moins. Diplômé d’une école de commerce, salarié à Berlin, comptable…ils ont décidé de choisir une vie professionnelle fort différente de celle qui leur promettait un avenir relativement assuré.

Thibaut a terminé ses études. La perspective de travailler dans le commercial ne l’enchante guère. Sur le marché où je l’ai rencontré – il faisait campagne pour une liste écologiste – il m’explique avoir pris conscience lors de ses études et des stages effectués de la grande vacuité du secteur vers lequel il s’était pourtant orienté. Photographe amateur averti, il a décidé de devenir photographe professionnel. Il met toutes ses économies dans une formation et effectue de petits travaux ça et là, le temps de s’installer.

Véronique exerce le métier de comptable. Son père, viticulteur, est fortement engagé dans la recherche de méthodes culturales respectueuses de l’environnement et expérimente sans cesse de nouveaux procédés. Ainsi par exemple a t’il semé des céréales entre des rangs de vigne, pour en tester les effets qu’il espère positifs: tenue et enrichissement du sol en particulier. Après avoir passé un moment avec lui dans les vignes, et alors que nous allons déguster quelques bouteilles, arrive Véronique. Nous échangeons sur divers sujets liés à la vigne, aux débats en cours et Véronique me dit, avec un grand sourire, qu’elle a arrêté son activité de comptable pour travailler sur l’exploitation viticole avec son père. Les chiffres, me dit elle ce n’est pas drôle et surtout elle a ressenti le besoin vital de s’investir dans le travail de la vigne. Son père intervient et me dit: « J’ai tout fait pour la dissuader. Je lui ai expliqué les difficultés du métier, les aléas liés au climat, les nuits à ne pas dormir par crainte du gel, ou pour cause de faible récolte, les soucis financiers.. ». Mais l’envie était la plus forte et après une formation en œnologie, Véronique a rejoint l’exploitation familiale.

Victor a ouvert il y a quelques semaines un atelier de réparation de vélos. Le mien nécessitant quelques réglages, je fais sa connaissance et lui fais part de ma satisfaction de l’ouverture de cet atelier à proximité de mon domicile. La discussion s’engage et Victor me raconte son itinéraire. Il travaillait à Berlin, dans un bureau, passant ses journées devant un écran, il a ressenti le besoin de respirer, de sortir de cette sorte de bulle aseptisée où il ne se passe rien, où seuls défilent des chiffres, des consignes, où l’on ne perçoit ni le pourquoi, ni la destinée et encore moins l’utilité de son travail, et où en réalité on n’a prise sur rien. Après avoir pris le temps de découvrir quelques pays, éprouvant le besoin d’un métier « manuel », Victor a choisi une toute autre voie et a suivi une formation de réparateur de vélos! Mais il n’a pas cherché un emploi dans un atelier existant, il a choisi de s’installer, de créer son entreprise, d’être maitre de son destin.

Si j’ai cité ces quelques exemples de « réorientation de vie » et non seulement de réorientation professionnelle c’est qu’ils me paraissent illustratifs de mouvements de fond qui  » travaillent » la jeunesse. Contrairement au cliché largement répandu au sein des milieux conservateurs, selon lequel « les jeunes ne veulent plus travailler« , « ne veulent plus faire d’effort », la question pour nombre d’entre eux n’est pas celle du travail, mais de son intérêt, de son usage, de sa finalité.

Son intérêt! Le cumul des évolutions technologiques, de la dématérialisation des procédures, de la culture du chiffre, de l’hyper individualisation des postes de travail et de leur perte de spécificités (de très nombreux postes sont interchangeables tant les taches ont été parcellisées et informatisées) conduit à un travail trop souvent répétitif, fastidieux, en rien valorisant. Les salariés vivent alors une contradiction, certes pas nouvelle mais qui ne fait que s’accroitre compte tenu du développement des niveaux de formation et de qualification, celle qui a trait à l’écart entre leur formation, leurs savoir faire et les compétences réellement mobilisées. De très nombreux salariés vivent en réalité un réel déclassement, ce qui on en conviendra peut entrainer des conséquences psychologiques et sociales non négligeables.

Son usage! Ou pour prendre un autre terme, son utilité. Tout agent d’un service administratif (public ou privé) se pose un jour la question de l’utilité de telle procédure, de tels tableaux statistiques qu’il faut remplir et dont on subodore qu’en réalité leur utilité est au mieux marginale. Au risque d’être polémiste, on peut poser la question non de l’utilité, mais de l’inutilité de certains postes de travail dont les missions alourdissent, complexifient, freinent la bonne exécution des tâches qu’ils sont censés définir et encadrer: ce qu’il s’est passé récemment dans les hôpitaux en est une belle illustration!

Sa finalité! A l’aune et sous l’influence des questions qui aujourd’hui taraudent nos sociétés et en particulier celle de son mode de développement, des remises en cause des idéologies de la croissance, du toujours plus, de la concurrence érigée en dogme dans les années 90, mais aussi sous l’influence de l’élévation des niveaux de formation et qualification, la question de la finalité du travail devient centrale.

Sans tomber dans une  contemplation béate de mouvements à l’œuvre au sein de nos sociétés, on ne peut que constater  le changement qui s’opère dans les représentations de l’utilité des secteurs d’activité et des métiers. Ainsi, la sphère du commerce ne fait elle plus rêver tant sont manifestes les excès de production et commercialisation d’objets inutiles, et dont la production est source de fortes externalités négatives (notamment en terme écologique) alors que les activités de services aux personnes sont plébiscitées (santé notamment).

Il est un autre mouvement à l’œuvre qu’il conviendrait d’analyser au fond et sur lequel j’aurai l’occasion de revenir: celui de l’envie de reprendre la main! Que font nos jeunes trentenaires évoqués au début de cet article, si ce n’est reprendre la main? Et ce au deux sens du terme: décider eux mêmes de leur travail, du choix de leur activité, construire leur projet, lui donner du sens mais aussi « mettre la main à la pâte« . Comme vous aurez pu le constater, chacun d’entre eux, par sa réorientation professionnelle, choisit un métier tactile, en lien avec des objets, avec la matière, un métier qui mobilise ensemble compétences intellectuelles et manuelles.

Exercer un métier enrichissant et utile, reprendre la main, et ce quel que soient les risques en terme de revenus et de garantie d’emploi, ce que vivent nos trois trentenaires est de plus en plus partagé. Certes me direz vous ce mouvement est encore minoritaire et une très grande partie des jeunes salariés ou en voie de le devenir n’est ni en situation, ni en capacité de faire de tels choix même si au fond d’eux mêmes, ils en ressentent plus ou moins confusément le désir.

Pour autant ce mouvement doit être regardé de près et pris au sérieux. Il appartient à celles et ceux qui ont du pouvoir sur l’orientation de notre économie, sur le choix de productions utiles, sur le développement des services indispensables, de faire et d’imposer des choix susceptibles d’offrir des métiers utiles et intéressants, de reconvertir dès maintenant un certain nombre de métiers, et d’interroger les formations offertes aux jeunes, pour cesser de leur proposer celles qui loin de les conduire à des métiers « épanouissants » » ne font en réalité que les enfermer dans des emplois sans avenir.

Dans le premier article publié sur ce blog, « Le Plan, le retour », http://www.droitdequestion.fr/2021/02/25/le-plan-le-retour/ je faisais état de l’intérêt à ouvrir à nouveau un grand chantier de réflexion sur l’avenir du travail.

Trop longtemps les responsables politiques et syndicaux, les collectivités locales, les médias, obsédés (à juste titre) par la lutte contre le chômage, ont laissé de côté la question du travail, de son utilité, de son sens. Tout comme ils ont laissé de côté l’évolution des conditions de travail, le développement de ce fameux « management » aussi inhumain que nuisible, au regard par exemple du développement des cas de burn-out!

L’heure est venue, et la pandémie n’y est pas pour rien, de remettre au cœur de notre pensée politique et sociale cette belle, grande et passionnante question du travail! De sa finalité mais aussi de son organisation, de son partage, de la place des salariés au sein de l’entreprise et/ou du service, Ne serait-ce pas par ailleurs une bonne méthode pour aborder autrement, de façon désidéologisée, et peut-être de ce fait avec une chance de succès, la question de notre mode développement et de l’écologie? de notre avenir?

PS: recommandations de lecture

https://blogs.alternatives-economiques.fr/gilles-raveaud/2021/04/16/sante-au-travail-sante-de-la-democratie

« Libérer le travail » Pourquoi la gauche s’en moque et pourquoi ça doit Changer, Thomas Couterot,  ed. du Seuil

 

Prochain article

Les élections régionales et départementales approchant, je m’interrogerai prochainement sur les effets de la loi du 2 mars 1982 pour ce qui concerne en particulier les Régions crées en 1986. Si elle a favorisé l’émergence de  « Grands notables », cette loi a t’elle contribué à la démocratisation de notre société et au développement de réelles politiques régionales? Rien n’est moins sur!